Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/383

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sur eux comme sur des chiens. — Attendez. Qui s’armera ? — Tout le monde. — Billot, Billot, rappelez-vous une chose, mon bon ami, c’est que ce que nous faisons dans ce moment-ci s’appelle… Comment s’appelle ce que nous faisons dans ce moment-ci, Billot ? — Cela s’appelle de la politique, monsieur Gilbert. — Eh bien ! en politicpie, il n’y a pas de crime absolu ; on est un scélérat ou un honnête homme, selon qu’on blesse ou sert les intérêts de celui qui nous juge. Ceux que vous appelez des scélérats donneront une raison spécieuse à leurs crimes, et, pour beaucoup d’honnêtes gens qui auront eu un intérêt direct ou indirect à ce que ces crimes soient commis, deviendront de très-honnêtes gens eux-mêmes. Du moment où nous en serons là, prenons garde, Billot, prenons garde. Voilà du monde au manche et des chevaux aux traits de la charrue. Elle marche, Billot, elle marche, et sans nous. — C’est effrayant, dit le fermier. Mais si elle marche sans nous, où ira-t-elle ? — Dieu le sait ! fit Gilbert. Quant à moi, je n’en sais rien. — Eh bien ! alors, si vous n’en savez rien, vous qui êtes un savant, monsieur Gilbert, à plus forte raison moi, qui suis un ignare. J’en augure donc… — Qu’en augurez-vous. Billot ? voyons. — J’en augure que ce que nous avons de mieux à faire, Pitou et moi, c’est de nous en retourner à Pisseleux. Nous reprendrons la charme, la vraie charrue, celle de fer et de bois, avec laquelle on remue les terres, et non pas celle de chair et d’os qu’on appelle le peuple français, et qui regimbe comme un cheval vicieux. Nous ferons pousser du blé au lieu de répandre du sang, et nous vivrons libres, joyeux et seigneurs chez nous. Venez, venez, monsieur Gilbert. Peste ! j’aime à savoir où je vais, moi. — Un moment, mon brave cœur, dit Gilbert ; non je ne sais pas où je vais, je vous l’ai dit et je vous le repète ; cependant, je vais et veux aller toujours. Mon devoir est tracé, ma vie appartient à Dieu ; mais mes œuvres sont la dette que je paierai à la patrie. Que ma conscience seulement me dise : Va, Gilbert, tu es dans la bonne route, va ! Voilà tout ce qu’il me faut, à moi. Si je me trompe, les hommes me puniront, mais Dieu m’absoudra. — Mais parfois les hommes punissent même ceux qui ne se trompent pas. Vous le disiez tout à l’heure. — Et je le dis encore. N’importe ! je persiste. Billot. Erreur ou non, je continue. Répondre que l’événement ne prouvera point mon impuissance, Dieu me garde de prétendre cela ! mais avant tout. Billot, le Seigneur l’a dit : « Paix aux hommes de bonne volonté. Soyons donc de ceux-là auxquels le Seigneur promet sa paix. Regarde monsieur de Lafayette, tant en Amérique qu’en France, voilà déjà le troisième cheval blanc qu’il use, sans compter ceux qu’il usera encore. Regarde monsieur Bailly qui use ses poumons, regarde le roi qui use sa popularité. Allons, allons, Billot, ne soyons pas égoïstes. Usons-nous un