Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/390

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Comment cet homme pur, comment ce cœur sans alliage avait-il tout à coup changé ?

— Non, il n’a pas encore changé, se disait en soupirant la reine, il va changer.

Il va changer ! Conviction effrayante pour la femme qui aime avec passion, insupportable pour la femme qui aime avec orgueil.

Or, la reine aimait à la fois Charny avec passion et avec orgueil.

La reine souffrait donc par deux blessures.

Et cependant, au moment où elle était arrivée, au moment où elle venait de s’apercevoir du mal qu’elle avait fait, du tort qu’elle avait eu, il était encore temps de le réparer.

Mais ce n’était pas un esprit souple que celui de cette femme couronnée. Elle ne pouvait se décider à fléchir même dans l’injustice ; peut-être en face d’un indifférent eût-elle montré ou voulu montrer de la grandeur d’âme, et alors peut-être eût-elle demandé pardon.

Mais à celui qu’elle avait honoré d’une affection à la fois si vive et si pure, à celui qu’elle avait daigné faire entrer en participation de ses plus secrètes pensées, la reine ne pensait pas qu’elle dût faire la moindre concession.

Le malheur des reines qui descendent à aimer un sujet, c’est de l’aimer toujours en reines, jamais en femmes.

Celle-ci s’estimait à un si haut prix, qu’elle croyait que rien d’humain ne pouvait payer son amour, pas même le sang, pas même les larmes.

Du moment où elle s’était sentie jalouse d’Andrée, elle avait commencé à diminuer moralement.

Suite de cette infériorité, ses caprices.

Suite de ses caprices, la colère.

Suite enfin de la colère, les mauvaises pensées, qui conduisent après elles les mauvaises actions.

Charny ne se rendait compte en rien de tout ce que nous venons de dire, mais il était homme, et il avait compris que Marie-Antoinette était jalouse, et jalouse injustement de sa femme.

De sa femme que lui n’avait jamais regardée.

Rien ne révolte un cœur droit et incapable de trahison comme de voir qu’on le croit capable de trahir.

Rien n’est propre à attirer l’attention sur quelqu’un que la jalousie dont quelqu’un est honoré, surtout si cette jalousie est injuste.

Alors celui qu’on soupçonne réfléchit.

Il regarde alternativement le cœur jaloux et la personne jalouse.

Plus l’âme du jaloux est grande, plus le danger dans lequel il se jette est grand.