Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/391

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En effet, comment supposer qu’un grand cœur, une intelligence élevée, un orgueil légitime ; comment supposer que tout cela s’inquiéterait pour rien si pour peu de chose ?

Pourquoi une femme belle serait-elle jalouse ? Pourquoi la femme puissante serait-elle jalouse ? Pounjuoi la femme spirituelle serait-elle jalouse ?

Comment supposer que tout cela s’inquiéterait pour rien ou pour peu de chose ?

Le jaloux n’est rien autre chose que le limier qui dépiste pour autrui les mérites que l’indifférent chasseur n’avait point aperçus en cheminant.

Charny savait que mademoiselle Andrée de Taverney était une ancienne amie de la reine, toujours bien traitée autrefois, toujours préférée.

Pourquoi Marie-Antoinette ne l’aimait-elle plus ? Pourquoi Marie-Antoinette en était-elle jalouse ?

Elle avait donc surpris quelque mystérieux secret de beauté que lui, Charny, n’avait pas découvert, sans doute parce qu’il n’avait pas cherché ?

Elle avait donc senti que Charny pouvait regarder cette femme, et qu’elle perdrait, elle, quelque chose à ce que Charny la regardât ?

Ou bien encore, aurait-elle cru s’apercevoir que Charny l’aimât moins, sans qu’aucune cause extérieure eût diminué cet amour ?

Rien de plus fatal aux jaloux que cette connaissance qu’ils donnent à autrui de la température de ce cœur qu’ils tiennent à garder dans sa chaleur la plus intense.

Combien de fois arrive-t-il que l’objet aimé est informé par des reproches sur sa froideur de la froideur qu’il commençait d’éprouver sans s’en rendre compte.

Et quand il voit cela, quand il sent la vérité du reproche, dites. Madame, combien de fois avez-vous vu qu’il se laisse ramener, combien de fois rallume-t-il la flamme languissante ? maladresse des amants ! Il est vrai que là où il y a beaucoup d’adresse, il n’y a presque jamais assez d’amour.

Marie-Antoinette avait donc appris elle-même à Charny, par ses colères et ses injustices, qu’il avait un peu moins d’amour au fond de son cœur.

Et sitôt qu’il le sut, il chercha la cause en regardant autour de li-i, et sous son regard il trouva tout naturellement la cause de la jalousie de la reine.

Andrée, la pauvre Andrée délaissée, épouse sans être femme.

Il plaignit Andrée.

La scène du retour de Paris lui avait découvert ce profond secret de jalousie caché à tous les yeux.

Elle aussi, la reine, elle vit que tout était découvert ; et comme elle ne