Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/392

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voulait pas fléchir devant Charny, elle employa un autre moyen, qui, à son avis, devait la conduire au même but.

Elle se remit à bien traiter Andrée.

Elle l’admit à toutes ses promenades, à toutes ses veillées ; elle la combla de caresses ; elle la rendit l’envie de toutes les autres femmes. Et Andrée se laissa faire, avec étonnement, mais sans reconnaissance. Elle s’était dit depuis longtemps qu’elle appartenait à la reine, que la reine pouvait faire d’elle ce qu’elle voudrait, et elle se laissait faire. En revanche, comme il fallait que l’irritation de la femme tombât sur quelqu’un, la reine commença de maltraiter fort Charny. Elle ne lui parlait plus ; elle le rudoyait ; elle affectait de passer des soirées, des jours, des semaines sans remarquer qu’il fût présent. Seulement, dès qu’il était absent, le cœur de la pauvre femme se gonflait ; ses yeux erraient avec inquiétude, cherchant celui dont ils se détournaient dès qu’ils pouvaient l’apercevoir. Avait-elle besoin d’un bras ; avait-elle un ordre à donner ; avait-elle un sourire à perdre, c’était pour le premier venu. Ce premier venu ne manquait jamais, au reste, d’être un homme beau et distingué.

La reine croyait se guérir de sa blessure en blessant Charny. Celui-ci souffrait et se taisait. C’était un homme puissant sur lui-même : pas un mouvement de colère ou d’impatience ne lui échappait pendant ces affreuses tortures.

On vit alors un curieux spectacle, un spectacle qu’il n’est donné qu’aux femmes de fournir et de comprendre.

Andrée sentit tout ce que souffrait son mari ; et comme elle l’aimait de cet amour angélique qui n’avait jamais conçu une espérance, elle le plaignit et le lui témoigna.

Il résulta de cette compassion un doux et miséricordieux rapprochement. Elle tenta de consoler Charny, sans lui laisser voir qu’elle comprit ce besoin de consolations qu’il avait.

Et tout cela se faisait avec cette délicatesse qu’on pourrait appeler féminine, attendu que les femmes seules en sont capables.

Marie-Antoinette, qui cherchait à diviser pour régner, s’aperçut qu’elle avait fait fausse route, et qu’elle rapprochait sans le vouloir des âmes qu’elle eût voulu séparer par des moyens bien différents.

Elle eut alors, la pauvre femme, dans le silence et la solitude des nuits, de ces désespoirs effrayants qui doivent donner à Dieu une bien haute idée de ses forces, puisqu’il a créé des êtres assez forts pour supporter de pareilles épreuves.

Aussi la reine eût-elle certainement succombé à tant de maux sans la