Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/408

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Et il regarda plus attentivement ces femmes qui suivaient la jeune fille au tambour.

Elles étaient hâves, chancelantes, désespérées.

Parmi ces femmes, il y en avait qui n’avaient pas mangé depuis trente heures.

Du milieu de ces femmes partait de temps en temps un cri menaçant par sa faiblesse même, car on sentait que ce cri sortait de bouches affamées.

— À Versailles ! criaient-elles ; à Versailles !

Et sur leur chemin elles faisaient signe à toutes les femmes qu’elles apercevaient dans les maisons, et appelaient toutes les femmes qu’elles voyaient aux fenêtres.

Une voiture passa, deux dames étaient dans cette voiture ; elles passèrent leurs têtes aux portières et se mirent à rire.

L’escorte de la tambourineuse s’arrêta. Une vingtaine de femmes se précipitèrent aux portières, firent descendre les deux dames et les adjoignirent au groupe, malgré leurs récriminations et une résistance que deux ou trois horions vigoureux éteignirent sur-le-champ.

Derrière ces femmes, qui s’avançaient lentement, vu la besogne de recrutement qu’elles faisaient tout le long de la route, marchait un homme les deux mains dans ses poches.

Cet homme, au visage maigre et pâle, à la taille longue et mince, était vêtu d’un habit gris de fer, veste et culotte noires ; il portait un petit tricorne râpé, placé obliquement sur son front.

Une longue épée battait ses jambes maigres, mais nerveuses.

Il suivait, regardant, écoutant, dévorant tout de son œil perçant qui roulait sous ses sourcils noirs.

— Eh ! mais, dit Billot, je connais cette figure, je l’ai vue dans toutes les émeutes. — C’est l’huissier Maillard, dit Gilbert. — Ah ! oui, c’est cela, celui qui passa après moi sur la planche de la Bastille ; il a été plus adroit que moi, lui, il n’est pas tombé dans les fossés.

Maillard disparut avec les femmes au tournant de la rue.

Billot avait bien envie de faire comme Maillard, mais Gilbert l’entraîna avec lui à l’hôtel de ville.

Il était bien certain que c’était toujours là que l’émeute revenait, que ce fût une émeute d’hommes ou une émeute de femmes. Au lieu de suivre le cours du fleuve, il allait droit à son embouchure.

On savait à l’hôtel de ville ce qui se passait dans Paris ; mais à peine s’en occupait-on. Qu’importait, en effet, au flegmatique Bailly et à l’aristocrate Lafayette que l’idée fût venue à une femme de battre le tambour. C’était une anticipation sur le carnaval, et voilà tout.