Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/409

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Mais quand, à la suite de cette femme battant le tambour, on vit arriver deux ou trois mille femmes ; quand sur les flancs de cette troupe, qui de minute en minute allait s’augmentant, on vit s’avancer une troupe non moins considérable d’hommes souriant d’une façon sinistre et tenant au repos leurs armes hideuses ; quand on comprit que ces hommes souriaient d’avance au mal que les femmes allaient faire, mal d’autant plus irrémédiable qu’on savait bien que la force publique ne sévirait pas avant le mal et que la force publique ne punirait point après, l’on commença de comprendre toute la gravité de la situation.

Ces hommes souriaient, parce que le mal qu’ils n’avaient point osé faire, ils étaient bien aises de le voir faire à la plus inoffensive moitié du genre humain.

Au bout d’une demi-heure, il y avait dix mille femmes réunies sur la place de Grève.

Ces dames, se voyant en nombre suffisant, commencèrent à délibérer le poing sur la hanche.

La délibération ne fut point calme ; celles qui délibéraient étaient pour la plupart des portières, des femmes de la halle, des filles publiques. Beaucoup de ces femmes étaient royalistes, et, au lieu d’avoir l’idée de faire du mal au roi et à la reine, elles se seraient fait tuer pour eux. On eût entendu les éclats de cette discussion étrange par delà la rivière, aux tours silencieuses de Notre-Dame, qui, après avoir vu tant de choses, se préparaient à en voir de plus curieuses encore.

Le résultat de la délibération fut celui-ci ;

« Allons un peu brûler l’hôtel de ville, où il se fabrique tant de paperasses pour nous empêcher de manger tous les jours. »

Justement on s’occupait à l’hôtel de ville de juger un boulanger qui avait vendu du pain à faux poids.

On comprend que plus le pain est cher, meilleure est une opération de ce genre ; seulement, plus elle est lucrative, plus elle est dangereuse.

En conséquence, les habitués du réverbère attendaient le boulanger avec une corde neuve.

La garde de l’hôtel de ville voulait sauver le malheureux, et s’y employait de toutes ses forces. Mais depuis quelque temps, on l’a vu, le résultat fécondait mal ses philanthropiques dispositions.

Les femmes se ruèrent sur cette garde, la rompirent, firent irruption dans l’hôtel de ville, et le sac commença.

Elles voulaient jeter à la Seine tout ce qu’elles trouveraient et brûler sur place tout ce qu’elles ne pourraient transporter.

Donc, les hommes à l’eau, les murailles au feu.