Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/415

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sculptait en bois pour les églises. Mais qui pense maintenant à doter les églises de ces beaux meubles en bois, de ces belles statues, de ces beaux bas-reliefs, chefs-d’œuvre du quinzième siècle ?

Mourante de faim, elle s’est faite bouquetière au Palais-Royal.

Mais qui songe à acheter des fleurs, quand l’argent manque pour acheter du pain ? Les fleurs, ces étoiles qui brillent au ciel de la paix et de l’abondance, les fleurs se fanent au vent des orages et des révolutions.

Ne pouvant plus sculpter ses fruits de chêne, ne pouvant plus vendre ses roses, ses jasmins et ses lis, Madeleine Chambry a pris un tambour et elle a battu ce terrible rappel de la faim.

Elle viendra à Versailles, celle qui a rassemblé toute cette triste députation ; seulement, comme elle est trop faible pour marcher, elle ira en charrette.

Arrivée à Versailles, on demandera qu’elle soit introduite au palais avec douze autres femmes ; elle sera l’orateur affamée, elle plaidera près du roi la cause des affamés.

On applaudit à cette idée de Maillard.

Ainsi voilà Maillard qui, d’un mot, a déjà changé toutes les dispositions hostiles.

On ne savait pas pourquoi on allait à Versailles, on ne savait pas ce qu’on y allait faire.

Maintenant on le sait : on va à Versailles pour qu’une députation de douze femmes, Madeleine Chambry en tête, aille supplier le roi, au nom de la faim, de prendre pitié de son peuple.

Sept mille femmes à peu près sont réunies.

Elles se mettent en marche, elles suivent les quais.

Seulement, arrivées aux Tuileries, de grands cris se font entendre.

Maillard monta sur une borne afin de dominer toute son armée.

— Que voulez-vous ? demanda-t-il. — Nous voulons traverser les Tuileries. — Impossible ! répond Maillard. — Et pourquoi impossible ? crient sept mille voix. — Parce que les Tuileries, c’est la maison du roi et le jardin du roi ; parce que les traverser sans la permission du roi, c’est insulter le roi, c’est plus que cela, c’est attenter dans la personne du roi à la liberté de tous. — Eh bien ! soit, dirent les femmes, demandez la permission au suisse.

Maillard s’approcha du suisse, et, son tricorne à la main :

— Mon ami, dit-il, voulez-vous que ces dames traversent les Tuileries ? On ne passera que sous la voûte, et il ne sera fait aucun dommage aux plantes ni aux arbres du jardin.

Pour toute réponse, le suisse tire sa longue épée et fond sur Maillard.

Maillard tire la sienne d’un pied plus courte, et croise le fer. Pendant