Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/456

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romance dont la musique vaut bien certainement mieux que les paroles. Arrivés là, les deux enfants jetèrent un regard autour d’eux pour se reconnaître.

La première chose qu’ils aperçurent fut le crucifix que la piété populaire place d’habitude à l’entrée des villages.

Hélas ! même à Haramont, on se ressentait de cette étrange progression que Paris faisait vers l’athéisme. Les clous qui retenaient à la croix le bras droit et les pieds du Christ s’étaient brisés, rongés par la rouille. Le Christ pendait, retenu seulement par le bras gauche, et nul n’avait eu la pieuse idée de remettre le symbole de cette liberté, de cette égalité et de cette fraternité, qu’on prêchait si fort, à la place où l’ont mis les Juifs.

Pitou n’était pas dévot, mais il avait ses traditions d’enfance. Ce Christ oublié lui serra le cœur. Il chercha dans une haie une de ces lianes minces et tenaces comme un fil de fer, déposa sur l’herbe son casque et son sabre, monta le long de la croix, rattacha le bras droit du divin martyr à sa traverse, lui baisa les pieds et descendit.

Pendant ce temps, Sébastien priait à genoux au bas de la croix. Pour qui priait-il ? Qui sait !

Peut-être pour cette vision de son enfance, qu’il espérait bien retrouver sous les grands arbres de la forêt, pour cette mère inconnue qui n’est jamais inconnue. Car si elle ne nous a pas nourri neuf mois de son lait, elle nous a toujours nourri neuf mois de son sang.

Cette sainte action achevée, Pitou remit son casque sur sa tête et boucla son sabre à sa ceinture.

Sa prière achevée, Sébastien fit le signe de la croix et reprit, la main de Pitou.

Tous deux entrèrent alors dans le village et s’avancèrent vers la chaumière où Pitou était né, où Sébastien avait été nourri.

Pitou connaissait bien Haramont, Dieu merci ! mais cependant il ne pouvait retrouver sa chaumière. Il fut obligé de s’informer ; on lui montra une maisonnette en pierre avec un toit en ardoises.

Le jardin de cette maisonnette était fermé par un mur.

La tante Angélique avait vendu la maison à sa sœur, et le nouveau propriétaire, c’était son droit, avait tout abattu : les vieilles murailles récrépies en terre, la vieille porte avec son ouverture pour passer le chat, les vieilles fenêtres avec leurs carreaux moitié de vitre, moitié de papier, sur lesquelles s’allongeait, en bâtons, l’écriture inexpérimentée de Pitou, le toit de chaume avec sa mousse verdâtre et les plantes grasses qui poussent et fleurissent au sommet.

Le nouveau propriétaire avait tout abattu, tout!