Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/460

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieille chère fille ! elle sera si heureuse de le revoir. — Ce n’est pas que je sois fatigué, dit Pitou, c’est que j’ai faim. Jamais je ne suis fatigué, mais j’ai faim loujpurs.

Alors, et devant cette naïve déclaration, la foule, qui respectait le. besoins de l’estomac de Pitou, s’ouvrit respectueusement, et Pitou, suivi da quelques curieux plus acharnés que les autres, put prendre le chemin du Pieux, c’est-à-dire de la maison de la tante Angélique. La tante Angélique était absente, en train de voisiner sans doute, et la porte était fermée.

Plusieurs personnes offrirent alors à Pitou de venir prendre chez elles la nourriture dont il avait besoin, mais Pitou refusa fièrement.

— Mais, lui dit-on, tu vois bien, mon cher Pitou, que la porte de ta tante est fermée. — La porte d’une tante ne saurait rester fermée devant un neveu soumis et affamé, dit sentencieusement Pitou. Et, tirant son grand sabre, dont la vue fit reculer les femmes et les enfants, il en introduisit l’extrémité entre le pêne et la gâche de la sersure, pesa vigoureusement, et la porte s’ouvrit à la grande admiration des assistants, qui ne révoquèrent plus les exploits de Pitou dès lors qu’ils le virent si témérairement s’exposer à la colère de la vieille fille. L’intérieur de la maison était exactement le même que du temps de Pitou : le fameux fauteuil de cuir tenait royalement le milieu de la chambre ; deux ou trois autres chaises ou tabourets estropiés formaient la cour boiteuse du grand fauteuil ; au fond était la huche, à droite le buffet, la cheminée.

Pitou entra dans la maison avec un doux sourire ; il n’avait rien contre tous ces pauvres meubles ; au contraire, c’étaient des amis d’enfance. Ils étaient donc, il est vrai, presqu’aussi durs que la tante Angélique, mais quand on les ouvrait, du moins trouvait-on quelque chose de bon en eux ; tandis que si on eût ouvert la tan te Angélique, on eût bien certainement trouvé le dedans encore plus sec et plus mauvais que le dehors.

Pitou donna à l’instant même une preuve de ce que nous avançons aux personnes qui l’avaient suivi, et qui, voyant ce qui se passait, regardaient du dehors, curieux de savoir ce qui allait se passer au retour de la tante Angélique.

Il était facile de voir, d’ailleurs, que ces quelques personnes étaient pleines de sympathie pour Pitou.

Nous avons dit que Pitou avait faim, faim au point qu’on avait pu s’en apercevoir à l’altération de son visage. Aussi ne perdit-il point de temps ; il alla droit à la huche et au buffet.