Aller au contenu

Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/461

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Autrefois, nous disons autrefois, quoique trois semaines se soient écoulées à peine depuis le départ de Pitou, car, à notre avis, le temps se mesure, non point sur la durée, mais par les événements écoulés ; autrefois, Pitou, à moins d’être poussé parle mauvais esprit ou par une faim irrésistible, puissances infernales toutes deux et qui se ressemblent beaucoup ; autrefois, Pitou se fût assis sur le seuil de la porte fermée, eût irresistiblement attendu le retour de la tante Angélique ; quand elle fût revenue, l’eût saluée avec un doux sourire ; puis, se dérangeant, lui eût fait place pour la laisser passer ; elle entrée, fût entré après elle, et, entré à son tour, fût allé chercher le pain et le couteau pour se faire mesurer sa part ; puis, sa part de pain coupée, il eût jeté un œil de convoitise, un simple regard, humide et magnétique, il le croyait du moins, magnétique au point d’appeler le fromage ou la friandise placés sur la planche du buffet.

Électricité qui rarement réussissait, mais, qui réussissait quelquefois cependant.

Mais aujourd’hui, Pitou fait homme n’en agissait plus ainsi : il ouvrit tranquillement la huche, tira de sa poche son large euslache, prit le pain et en coupa angulairement un morceau qui pouvait peser un bon kilogramme, comme on dit élégamment depuis l’adoption des nouvelles mesures.

Puis il laissa retomber le pain dans la huche et le couvercle sur le pain.

Après quoi, sans rien perdre de sa tranquillité, il alla ouvrir le buffet.

Il sembla bien un instant à Pitou qu’on entendait le grondement de la tante Angélique ; mais le buffet criait sur ses charnières, et ce bruit, qui avait toute la puissance de la réalité, étouffa l’autre, qui n’avait que l’influence de l’imagination.

Du temps que Pitou faisait partie de la maison, l’avare tante se retranchait derrière des provisions de résistance ; c’était un fromage de Marolles, ou le mince morceau de lard entouré des feuilles verdoyantes d’un énorme chou ; mais depuis que ce fabuleux mangeur avait quitté le pays, la tante, malgré son avarice, se confectionnait certains plats qui duraient une semaine, et qui ne manquaient pas d’une certaine valeur. C’était tantôt un bœuf à la mode, entouré de carottes et d’oignons confits dans la graisse de la veille ; tantôt un haricot de mouton aux savoureuses pommes de terre, grosses comme des tôles d’enfant ou longues comme des citrouilles ; tantôt un pied de veau, que l’on épiçait avec. quelques échalottes vinaigrées ; tantôt c’était une omelette gigantesque faite dans la grande poêle et couperosée de civette et de persil, ou émail-