Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/464

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Elle ne le put.

Pitou souriait d’un air tellement fascinateur, que le cri expira sur les lèvres de la tante Angélique.

Alors elle essaya de sourire à son tour, espérant conjurer cet animal féroce qu’on appelle la faim, et qui habitait alors dans les entrailles de son neveu.

Mais le proverbe a raison, les entrailles affamées de Pitou restèrent muettes et sourdes.

La tante, à bout de sourire, pleura.

Cela gêna un peu Pitou, mais ne l’empêcha aucunement de manger.

— Oh ! oh ! dit-il, ma tante, que vous êtes donc bonne de pleurer de joie comme cela pour mon arrivée. Merci, ma bonne tante, merci.

Et il continua.

Évidemment la révolution française avait complètement dénaturé cet homme.

Il dévora les trois quarts du coq et laissa un peu de riz au fond du plat, en disant :

— Ma bonne tante, vous aimez mieux le riz, n’est-ce pas ? C’est plus doux pour vos dents ; je vous laisse le riz. À cette attention, qu’elle prit sans doute pour une raillerie, la tante Angélique faillit suffoquer. Elle s’avança résolument vers le jeune Pitou, et lui arracha le plat des mains, en proférant un blasphème que, vingt ans plus tard, eût admirablement complété un grenadier de la vieille garde.

Pitou poussa un soupir.

— Oh ! ma tante, dit-il, vous regrettez votre coq, n’est-ce pas ? — Le scélérat ! dit la tante Angélique, je crois qu’il me gouaille. Gouailler est un verbe véritablement français, et l’on parle le plus pur français dans l’Ile-de-France.

Pitou se leva.

— Ma tante, dit-il majestueusement, je n’ai point l’intention de ne point payer ; j’ai de l’argent. Je me mettrai, si vous voulez, eu pension chez vous, seulement je me réserve le droit de faire la carte. — Coquin ! s’écria la tante Angélique. — Voyons, mettons la portion à quatre sous ; voilà un repas que je vous dois, quatre sous de riz et deux sous de pain. Six sous. — Six sous ! s’écria la tante, six sous ! mais il y a pour huit sous de riz et six sous de pain seulement. — Aussi, dit Pitou, n’ai-je point compté le coq, ma bonne tante, attendu qu’il est de votre basse-cour. C’est une vieille connaissance à moi, je i’ai reconnu tout de suite à sa crête. — Il vaut mieux que son prix cependant. — Il a neuf ans. C’est moi qui l’ai volé pour vous, sous le ventre de sa mère ; il n’était pas plus