Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/465

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gros que le poing, et même que vous m’avez battu parce qu’en même temps que lui je ne vous apportais pas de grain pour le nourrir le lendemain, Mademoiselle Catherine m’a donné le grain. C’était mon bien, j’ai mange mon bien ; j’en avais bien le droit. La tante, ivre de colère, pulvérisa ce révolutionnaire du regard. Elle n’avait plus de voix.

— Sors d’ici ! murmura-t-elle. — Tout de suite, comme cela, après avoir dîné, sans me donner le temps de faire ma digestion ? Ah ! ce n’est pas poli, ma tante. — Sors !

Pitou, qui s’était rassis, se releva ; il remarqua, non sans une vive satisfaction, que son estomac n’eût pu tenir un grain de riz de plus.

— Ma tante, dit-il majestueusement, vous êtes une mauvaise parente. Je veux vous montrer que vous avez avec moi les mêmes torts qu’autrefois, toujours aussi dure, toujours aussi avare. Eh bien ! moi, je ne veux pas que vous alliez dire partout que je suis un mangeur de tout bien. Il se posa sur le seuil de la porte, et d’une voix de Stentor qui pût être entendue, non-seulement des curieux qui avaient accompagné Pitou et qui avaient assisté à cette scène, mais encore des indifférents qui passaient à cinq cents pas de distance :

— Je prends ces braves gens à témoin, dit-il, que j’arrive de Paris à pied, après avoir pris la Bastille ; que j’étais fatigué, que j’avais faim, que je me suis assis, que j’ai mangé chez ma parente, et que l’on m’a reproché si durement ma nourriture, que l’on m’a chassé si impitoyablement, que je me vois forcé de m’en aller.

Et Pitou mit assez de pathétique dans cet exorde pour que les voisins commençassent à murmurer contre la vieille.

— Un pauvre voyageur, continua Pitou, qui a fait dix-neuf lieues à pied ; un garçon honnête, honoré de la confiance de monsieur Billot et de monsieur Gilbert, qui a reconduit Sébastien Gilbert chez l’abbé Portier ; un vainqueur de la Bastille, un ami de monsieur Bailly et du général Lafayette ! Je vous prends à témoin que l’on m’a chassé. Les murmures grossirent.

— Et, poursuivit-il, comme je ne suis pas un mendiant, comme quand on me reproche mon pain je le paie, voici un petit écu que je dépose comme paiement de ce que j’ai mangé chez ma tante. Et ce disant, Pitou tira superbement un écu de sa poche et le jeta sur la table, d’où, aux yeux de tous, il rebondit dans le plat et s’enfouit à moitié dans le riz.

Ce dernier trait acheva la vieille ; elle baissa la tête sous la réprobation universelle, traduite par un long murmure ; vingt bras s’allongèrent vers Pitou, qui sortit de la cabane en secouant ses souliers sur le seuil, et