Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/491

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tille et la vengeance du peuple ; il glissa légèrement sur la part qu’il avait prise au combat de la place du Palais-Royal et du faubourg Saint-Antoine ; mais moins il se vantait, plus il grandissait aux yeux de ses compatriotes, et à la fin du récit de Pitou, son casque était grand comme le dôme des Invalides, son sabre était haut comme le clocher d’Haramont.

La narration achevée, Pitou en vint à la confirmation, cette délicate opération à laquelle Cicéron reconnaissait le véritable orateur.

Il prouva que les passions populaires avaient été justement soulevées par les accapareurs. Il dit deux mots de messieurs Pitt père et fils ; il expliqua la révolution par les priviléges accordés à la noblesse et au clergé ; enfin, il invita le peuple d’Haramont à faire en particulier ce que le peuple français avait fait en général, c’est-à-dire à se réunir contre l’ennemi commun.

Puis enfin, il passa de la confirmation à la péroraison, par un de ces mouvements sublimes qui sont communs à tous les grands orateurs.

Il laissa tomber son sabre, et, en le relevant, il le tira par mégarde du fourreau.

Ce qui lui donna le texte d’une motion incendiaire qui appelait aux armes les habitants de la commune par l’exemple des Parisiens révoltés.

Les Haramontois enthousiastes répondirent énergiquement.

La révolution fut proclamée et acclamée dans le village.

Ceux de Villers-Cotterets qui avaient assisté à la séance partirent le cœur gonflé de levain patriotique, chantant de la façon la plus menaçante pour les aristocrates, et avec une sauvage fureur :

Vive Henri quatre !
Vive ce roi vaillant !

Rouget de l’Isle n’avait pas encore composé la Marseillaise, et les fédérés de 90 n’avaient pas encore réveillé le vieux Ça ira populaire, attendu qu’on en était encore à l’an de grâce 1789.

Pitou crut n’avoir fait qu’un discours, Pitou avait fait une révolution.

Il rentra chez lui, se régala d’un morceau de pain bis et du reste de son fromage de l’hôtel du Dauphin, reste de fromage précieusement rapporté dans son casque, puis il alla acheter du fil de laiton, se fit des collets, et, la nuit venue, il alla les tendre dans la forêt.

Cette même nuit, Pitou prit un lapin et un lapereau.

Pitou aurait bien voulu tendre au lièvre, mais il ne trouva aucune passée, ce qui lui fut expliqué par ce vieil axiome des chasseurs : chiens et chats, lièvres et lapins ne vivent pas ensemble.

Il eût fallu faire trois ou quatre lieues pour aller jusqu’à un canton giboyeux en lièvres, et Pitou était un peu fatigué, ses jambes avaient fait