Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/490

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ce second retour de Pitou qu’ils n’espéraient plus, l’entourèrent avec toutes sortes de marques de considération, en le priant de déposer son attirail guerrier et de poser sa tente sous les quatre tilleuls qui ombrageaient la place du village, comme on priait Mars en Thessalie, aux anniversaires de ses grands triomphes.

Pitou daigna d’autant plus facilement y consentir, que c’était son intention de fixer son domicile à Haramont. Il accepta donc l’abri d’une chambre, qu’un belliqueux du village lui loua toute meublée.

Meublée d’un lit de planches avec une paillasse et un matelas ; meublée de deux chaises, d’une table et d’un pot à eau.

Le tout fut estimé, par le propriétaire lui-même, à six livres par an, c’est-à-dire au prix de deux plats de coq au riz.

Ce prix arrêté, Pitou prit possession du domicile en payant à boire à ceux qui l’avaient accompagné, et comme les événements non moins que le cidre lui avaient monté la tête, il leur fit une harangue sur le seuil de sa porte.

C’était un grand événement que cette harangue de Pitou : aussi tout Haramont fit-il cercle autour de la maison.

Pitou était quelque peu clerc, il connaissait le beau-dire ; il savait les huit mots avec lesquels, à cette époque, les arrangeurs de nations, c’est ainsi que les appelait Homère, faisaient mouvoir les masses populaires.

De monsieur de Lafayette à Pitou, il y avait loin sans doute ; mais d’Haramont à Paris, quelle distance !

Moralement parlant, bien entendu.

Pitou débuta par un exorde dont l’abbé Fortier lui-même, si difficile qu’il fût, n’eût pas été mécontent.

— Citoyens, dit-il, concitoyens, ce mot est doux à prononcer, je l’ai déjà dit à d’autres Français, car tous les Français sont frères ; mais ici, je crois le dire à des frères véritables, et je trouve toute une famille dans mes compatriotes d’Haramont.

Les femmes, il y en avait quelques-unes dans l’auditoire, et ce n’était pas les mieux disposées, Pitou ayant encore les genoux trop gros et les mollets trop petits pour prévenir du premier coup d’œil en sa faveur un auditoire féminin, les femmes, à ce mot de famille, pensèrent à ce pauvre Pitou, enfant orphelin, à ce pauvre abandonné qui, depuis la mort de sa mère, n’avait jamais mangé à sa faim ; et ce mot de famille, prononcé par ce garçon qui n’en avait pas, remua chez plusieurs d’entre elles cette fibre si sensible qui ferme le réservoir des larmes.

L’exorde achevé, Pitou commença la narration, cette deuxième partie du discours.

Il dit son voyage à Paris, les émeutes des bustes, la prise de la Bas-