Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/500

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Seulement, comme il se sentait la tête un peu alourdie, il résolut de regagner son logis, quitte à revenir le lendemain. Mais cette journée, qui avait passé pour lui si vide d’événements et d’intrigues, les gens du hameau l’avaient passée à réfléchir et à faire des combinaisons.

On aurait pu voir, vers le milieu de cette journée que Pitou passa à rêver dans la forêt, on aurait pu voir les bûcherons s’appuyer sur leurs cognées, les batteurs rester le fléau en l’air, les menuisiers arrêter le rabot sur la planche lisse.

Tous ces moments perdus, Pitou en était la cause, Pitou avait été le souffle de discorde lancé parmi ces bruits de paille qui commençaient à flotter confusément.

Et lui, artisan de ce trouble, il ne s’en souvenait même pas. Mais à l’heure où il s’achemina vers son domicile, quoique dix heures fussent sonnées, et qu’à cette heure, d’habitude, pas une chandelle ne fût allumée, puis un œil ne fût ouvert dans le village, il aperçut une mise en scène inaccoutumée à l’entour de la maison qu’il habitait. C’étaient des groupes assis, des groupes debout, des groupes marchant. L’attitude de chacun de ces groupes avait une signification inusitée. Pitou, sans savoir pourquoi, se figura que ces gens parlaient de lui. Et quand il passa dans la rue, tous furent comme frappés d’une secousse électrique, et se le montrèrent l’un à l’autre.

— Qu’ont-ils donc ? se demanda Pitou ; je n’ai cependant pas mis mon casque.

Et il rentra modestement chez lui, après avoir échangé çà et là quelques saluts.

Il n’avait pas encore fermé la porte assez mal jointe de la maison, qu’il crut entendre un coup frappé sur le bois.

Pitou n’allumait pas de chandelle avant de se coucher ; la chandelle était un trop grand luxe pour un homme qui, n’ayant qu’une couchette, ne pouvait pas se tromper de lit, et qui, n’ayant pas de livres, ne pouvait pas lire.

Mais ce qu’il y avait de certain, c’est que l’on frappait à sa porte. Il leva le loquet.

Deux hommes, deux jeunes gens d’Haramont entrèrent familièrement chez lui.

— Tiens, tu n’as pas de chandelle, Pitou ? fit l’un d’eux. — Non, répondit Pitou. Pour quoi faire ? — Mais pour y voir. — Oh ! j’y vois la nuit, moi : je suis nyctalope.

Et, en preuve de ce qu’il ajoutait :

— Bonsoir, Claude ; bonsoir. Désiré, dit-il. — Eh bien ! firent ceux-