Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/502

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très-exigeant, demandait à placer au moins un mot à son tour. — Alors, veux-tu nous commander ? demanda Claude. — Moi ! s’écria Pitou en faisant un bond de surprise. — Toi-même.

Et les deux conspirateurs regardèrent fixement Pitou.

— Oh ! tu hésites, dit Claude. — Mais… — Tu n’es donc pas un bon patriote ? fit Désiré. Oh ! par exemple. — Tu crains donc quelque chose ? — Moi, un vainqueur de la Bastille, un médaillé. — Tu es médaillé ! — Je le serai quand les médailles seront frappées. Monsieur Billot m’a promis de retirer la mienne en mon nom. — Il sera médaillé ! nous aurons un chef médaillé ! s’écria Claude avec transport. — Voyons, acceptes-tu ? demanda Désiré. — Acceptes-tu ? demanda Claude. — Eh bien ! oui, j’accepte, répondit Pitou, emporté par son enthousiasme et peut-être bien aussi par un sentiment qui s’éveillait en lui et qu’on appelle l’orgueil. — C’est conclu ! s’écria Claude, à partir de demain, tu nous commandes. — Que vous commanderai-je ? — L’exercice donc. — Et des fusils ? — Mais puisque tu sais où il y en a. — Ah ! oui, chez l’abbé Fortier. — Sans doute. — Seulement l’abbé Fortier est dans le cas de me les refuser. — Eh bien ! tu feras comme les patriotes ont fait aux Invalides, tu les prendras. — À moi tout seul ? — Tu auras nos signatures, et d’ailleurs, au besoin, nous t’amènerons des bras, nous soulèverons Villers-Cotterets, s’il le faut. Pitou secoua la tête.

— L’abbé Fortier est entêté, dit-il. — Bah ! tu étais son élève de prédilection, il ne saura rien te refuser. — On voit bien que vous ne le connaissez guère, vous, fit Pitou avec un soupir. — Comment, tu crois que ce vieux refuserait ? — Il refuserait à un escadron de royal —allemand. C’est un entêté, injustum et tenacem… C’est vrai, dit Pitou s’interrompant, vous ne savez pas seulement le latin. Mais les deux Haramontois ne se laissèrent éblouir, ni par la citation, ni par l’apostrophe.

— Ah ! ma foi ! dit Désiré, voilà un beau chef que nous avons choisi là, Claude ; il s’effraie de tout.

Claude secoua la tête.

Pitou s aperçut qu’il venait de compromettre sa haute position. Il se rappela que la fortune aime les audacieux.

— Eh bien ! soit, dit-il, on verra. — Tu te charges des fusils alors.

— Je me charge… d’essayer.

Un murmure de satisfaction remplaça le léger murmure improbatif qui s’était élevé.

— Oh ! oh ! pensa Pitou, ces gens-là me mènent déjà avant que je sois leur chef. Que sera-ce donc quand je le serai. — Essayer, dit Claude en