Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/511

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aux sciences gymnastiques. — Plaît-il ? — J’ai dit gymnastiques, du grec gymnaza exercæ, lequel vient de gymnos, nu, parce que les athlètes s’exerçaient nus. — C’est moi qui l’ai appris tout cela, pourtant ! s’écria l’abbé, presque consolé de la victoire de son élève. — C’est vrai. — Il est heureux que tu en conviennes. — Avec reconnaissance, monsieur l’abbé. Nous disions donc que vous ignoriez… — Assez ! Il est certain que j’ignore plus que je ne sais. — Donc, vous convenez que beaucoup d’hommes en savent plus que vous ? — C’est possible. — C’est sûr, et plus l’homme sait, plus il s’aperçoit qu’il ne sait rien. Le mot est de Cicéron. — Conclus. — Je conclus. — Voyons la conclusion, elle va être droite. — Je conclus qu’en vertu de votre ignorance relative, vous devriez avoir plus d’indulgence pour la science relative des autres hommes. Cela constitue une double vertu, virtus duplex, qui, à ce qu’on assure, était celle de Fénelon, qui en savait bien autant que vous, cependant : c’est la charité chrétienne de l’humanité.

L’abbé poussa un rugissement de colère.

— Serpent ! s’écria-t-il, tu es un serpent ! — Tu m’injuries et ne me réponds pas ! c’est ce que répondait un sage de la Grèce. Je vous le dirais bien en grec, mais je vous l’ai déjà dit ou à peu près en latin. — Bien, dit l’abbé, voilà encore un effet des doctrines révolutionnaires. — Lequel ? — Elles t’ont persuadé que tu étais mon égal. — Et, m’eussent-elles persuadé cela, vous n’en auriez pas davantage le droit de faire une faute de français. — Plaît-il ? — Je dis que vous venez de faire une énorme faute de français, mon maître. — Ah ! voilà qui est joli par exemple, et laquelle ? — La voici. Vous avez dit : Les doctrines révolutionnaires t’ont persuadé que tu étais mon égal. — Eh bien ? — Eh bien ! étais à l’imparfait ? — Parbleu, oui. — C’est le présent qu’il tant. — Ah ! fit l’abbé en rougissant. — Traduisez un peu la phrase en latin, et vous verrez quel solécisme énorme vous donnera le verbe mis à l’imparfait !

— Pitou ! Pitou ! s’écria l’abbé croyant entrevoir quelque chose de surnaturel dans une pareille érudition ; Pitou, quel est donc le démon qui t’inspire toutes ces attaques contre un vieillard et contre l’Église ? — Mais, monsieur l’abbé, répliqua Pitou, un peu ému de l’accent de véritable désespoir avec lequel ces paroles avaient été prononcées, ce n’est pas le démon qui m’inspire, et je ne vous attaque pas. Seulement, vous me traitez toujours comme un sot, et vous oubliez que tous les hommes sont égaux.

L’abbé s’irrita de nouveau.

— Voilà, dit-il, ce que je ne souffrirai jamais, c’est que l’on profère devant moi de pareils blasphèmes. Toi, toi, l’égal d’un homme que Dieu et le travail ont mis soixante ans à former ! jamais, jamais ! — Dam !