Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/510

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L’abbé haussa les épaules.

— Répondez, dit Pitou. — Tu dis que les révolutionnaires parlent bien et raisonnent bien. Mais cite-moi donc un seul de ces malheureux, un seul qui sache lire et écrire ? — Moi, fit Pitou avec sécurité. — Lire, je ne dis pas, et encore ! Mais écrire ? — Écrire ! répéta Pitou. — Oui, écrire sans orthographe. — Savoir. — Veux-tu parier que tu n’écris pas une page sous ma dictée sans faire quatre fautes ? — Voulez-vous parier, vous, que vous n’écrivez pas une demi-page sous la mienne sans en faire deux ? — Oh ! par exemple ! — Eh bien ! allons. Je vais vous chercher des participes et des verbes réfléchis. Moi, je vous assaisonnerai cela de certains que que je connais, et je tiens le pari. — Si j’avais le temps, dit l’abbé. — Vous perdriez. — Pitou, Pitou, rappelle-toi le proverbe : Pitoueus Angélus asinus est. — Bah ! des proverbes, il y en a sur tout le monde. Savez-vous celui que m’ont chanté, en passant, aux oreilles, les roseaux de Wualu ? — Non, mais je serais curieux de le connaître, maître Midas. — Fontieriis abbas forte fortis. — Monsieur ! s’exclama l’abbé. — Traduction libre : l’abbé Fortier n’est pas fort tous les jours. — Heuseusement, dit l’abbé, ce n’est pas le tout d’accuser, il faut prouver.

— Hélas ! monsieur l’abbé, comme ce serait facile. Voyons, qu’enseignez-vous à vos élèves ? — Mais… — Suivez mon raisonnement. Qu’enseignez-vous à vos élèves ? — Ce que je sais. — Bon ! notez que vous avez répondu : ce que je sais. — Eh ! oui, ce que je sais, fit l’abbé ébranlé : car il sentait que, pendant son absence, ce singulier lutteur avait appris des coups inconnus. Oui, je l’ai dit, après ? — Eh bien ! puisque vous montrez à vos élèves ce que vous savez, voyons, que savez-vous ? — Le latin, le français, le grec, l’histoire, la géographie, l’arithmétique, l’algèbre, l’astronomie, la botanique, la numismatique. — Y en a-t-il encore ? demanda Pitou. — Mais… — Cherchez, cherchez. — Le dessin. — Allez toujours. — L’architecture. — Allez toujours. — La mécanique. — C’est une branche des mathématiques, mais n’importe, allez. — Ah çà ! où veux-tu en venir ? — À ceci tout simplement : vous avez fait le compte très-large de ce que vous savez, faites maintenant le compte de ce qu vous ne savez pas.

L’abbé frémit.

— Ah ! dit Pitou, je vois bien que pour cela il faut que je vous aide ; vous ne savez ni l’allemand, ni l’hébreu, ni l’arabe, ni le sanscrit, quatre langues mères. Je ne vous parle pas des subdivisions, qui sont innombrables. Vous ne savez pas l’histoire naturelle, la chimie, la physique. — Monsieur Pitou… — Ne m’interrompez pas ; vous ne savez pas la physique, la trigonométrie rectiligne ; vous ignorez la médecine, vous ignorez l’acoustique, la navigation ; vous ignorez tout ce qui a rapport