Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/53

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Et Catherine se mit à rire de plus belle, ce qui scandalisa de nouveau Pitou.

— Mais n’avez-vous donc pas entendu qu’elle me chasse ? reprit l’écolier désespéré. — Eh bien ! tant mieux ! dit-elle. — Vous êtes bien heureuse de rire comme cela, mademoiselle Billot, et ça prouve que vous avez un bien agréable caractère, puisque les chagrins des autres ne vous font pas une plus grande impression. — Et qui vous dit donc que, s’il vous arrivait un chagrin véritable, je ne vous plaindrais pas, monsieur Ange ? — Vous me plaindriez s’il m’arrivait un chagrin véritable ? Mais vous ne savez donc pas que je n’ai plus de ressources ! — Tant mieux encore ! fit Catherine.

Pitou n’y était plus le moins du monde.

— Et manger ! dit-il ; il faut manger, pourtant, Mademoiselle ; surtout moi, qui ai toujours faim. — Vous ne voulez donc pas travailler, monsieur Pitou ? — Travailler ! et à quoi ? Monsieur Fortier et ma tante Angélique m’ont répété plus de cent fois que je n’étais bon à rien. Ah ! si l’on m’avait mis en apprentissage chez un menuisier ou chez un charron, au lieu de vouloir faire de moi un abbé ! Décidément, tenez, mademoiselle Catherine, fit Pitou avec un geste de désespoir, décidément il y a une malédiction sur moi. — Hélas ! dit la jeune fille avec compassion, car elle savait comme tout le monde l’histoire lamentable de Pitou, il y a du vrai dans ce que vous dites-là, mon cher monsieur Ange ; mais… pourquoi ne faites-vous pas une chose ? — Laquelle ? dit Pitou en se cramponnant à la proposition à venir de mademoiselle Billot, comme un noyé se cramponnant à une branche de saule ; laquelle, dites ? — Vous aviez un protecteur, ce me semble ? — Monsieur le docteur Gilbert. — Vous étiez le camarade de classe de son fils, puisqu’il a été élevé comme vous chez l’abbé Fortier ? — Je le crois bien, et même je l’ai empêché plus d’une fois d’être rossé. — Eh bien ! pourquoi ne vous adressez-vous pas à son père ? il ne vous abandonnera point. — Dam ! je le ferais certainement, si je savais ce qu’il est devenu ; mais peut-être votre père le sait-il, mademoiselle Billot, puisque le docteur Gilbert est son propriétaire. — Je sais qu’il lui faisait passer une partie des fermages en Amérique, et qu’il plaçait l’autre chez un notaire de Paris. — Ah ! dit en soupirant Pitou, en Amérique, c’est bien loin. — Vous iriez en Amérique, vous ? dit la jeune fille, presque effrayée de la résolution de Pitou. — Moi, mademoiselle Catherine ? Jamais ! jamais ! Non. Si je savais où et quoi manger, je me trouverais très-bien en France. — Très bien ! répéta mademoiselle Billot.

Pitou baissa les yeux. La jeune fille garda le silence. Ce silence dura quelque temps.