Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/535

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans à balles, et trente-cinq ans à plomb, avait crevé en tirant sur un lapin.

C’était le premier qu’il eût manqué depuis trente-cinq ans. Mais le lapin sain et sauf n’était point le pire désagrément qui fût arrivé au père Clouïs. Deux doigts de sa main gauche avaient été effiloqués par l’explosion. Clouïs avait raccommodé ses doigts avec des herbes mâchées et des feuilles, mais il n’avait pu raccommoder son fusil. Or, pour se procurer un autre fusil, il fallait que le père Clouïs fouillât à son trésor, et encore, quelque sacrifice qu’il fit pour un nouveau, y mit-il la somme exorbitante de deux louis, qui sait si ce fusil tuerait à tous les coups, comme celui qui venait d’éclater si malheureusement ? Comme on le voit, Pitou arrivait dans un mauvais moment. Aussi, au moment où Pitou mit la main sur le loquet de la porte, le père Clouïs fit entendre un grognement qui fit reculer le commandant des gardes civiques d’Haramont.

Était-ce un loup, était-ce une laie en gésine, qui s’était substitué au père Clouïs ?

Aussi Pitou, qui avait lu le Petit Chaperon-Rouge, hésita-t-il à entrer.

— Eh ! père Clouïs, cria-t-il. — Quoi ? fit le misanthrope. Pitou fut rassuré, il avait reconnu la voix du digne anachorète.

— Bon ! vous y êtes ? dit-il.

Puis, faisant un pas dans l’intérieur de la hutte et tirant sa révérence à son propriétaire :

— Bonjour, père Clouïs, dit gracieusement Pitou. — Qui va là ? demanda le blessé. — Moi. — Qui, toi ? — Moi, Pitou. — Qui ça, Pitou ?

— Moi, Ange Pitou d’Haramont, vous savez ? — Eh bien ! qu’est-ce que ça me fait, à moi, que vous soyez Ange Pitou d’Haramont ! — Oh ! oh ! dit-il, il n’est pas de bonne humeur, le père Clouïs ; je l’ai mal réveillé, dit Pitou en câlinant. — Très-mal réveillé, vous avez raison.

— Que faut-il donc que je fasse, alors ? — Oh ! ce que vous avez de mieux à faire, c’est de vous en aller. — Eh-da ! sans causer un peu ? — Causer de quoi ? — D’un service à me rendre, père Clouïs.

— Je ne rends pas de service pour rien. — Et moi je paie ceux i]u’on me rend. — C’est possible ; mais moi, je n’en puis plus rendre. — Comment cela ? — Je ne tue plus. — Comment, vous ne tuez plus ? vous qui tuez à tout coup ; ça n’est pas possible, ça, père Clouïs. — Allez-vous en, vous dis-je. — Mon petit père Clouïs ! — Vous m’ennuyez. — Écoutez-moi, et vous ne vous en repentirez pas. — Voyons alors, pas de mots., que voulez-vous ? — Vous êtes un vieux soldat, vous ? — Après ?

— Eh bien ! père Clouïs, je veux… — Achève donc, drôle ! — Je veux