Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/536

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que vous m’appreniez l’exercice. — Étes-vous braque ? — Non, j’ai toute ma cervelle, au contraire. Apprenez-moi l’exercice, père Clouïs, et nous causerons du prix. — Ah çà ! mais décidément cet animal-là est fou, dit rudement le vieux soldat en se soulevant sur ses bruyères sèches. — Père Clouïs, oui ou non, apprenez-moi l’exercice comme on le fait à l’armée, en douze temps, et demandez-moi telle chose qu’il vous plaira.

Le vieux se dressa sur un genou, et fixant son œil fauve sur Pitou :

— La chose qui me plaira ? demanda-t-il. — Oui. — Eh bien ! la chose qui me plaît, c’est un fusil. — Ah ! comme cela tombe, dit Pitou, j’en ai trente-quatre fusils. — Tu as trente-quatre fusils toi ? — Et même le trente-quatrième, que j’avais mis pour moi, fera bien votre affaire. C’est un joli fusil de sergent avec les armes du roi en or sur la culasse. — Et comment t’es-tu procuré ce fusil ? Tu ne l’as pas volé, j’espère ? Pitou lui conta son histoire, franchement, loyalement, vivement.

— Bon ! fit le vieux garde, je comprends. Je veux bien t’apprendre l’exercice ; mais j’ai mal aux doigts.

Et à son tour, il raconta à Pitou l’accident qui lui était arrivé.

— Eh bien ! lui dit Pitou, ne vous occupez plus de votre fusil, il est remplacé. Dam ! il n’y a que vos doigts… Ce n’est pas comme des fusils, je n’en ai pas trente-quatre. — Oh ! quant aux doigts, ce n’est rien, et pourvu que tu me promettes que demain le fusil sera ici, viens. Et il se leva aussitôt.

La lune au zénith versait des.torrents de flamme blanche sur l’espèce de clairière qui s’étendait en avant de la maison. Pitou et le père Clouïs s’avancèrent sur cette clairière. Quiconque eût vu dans cette solitude ces deux ombres noires gesticuler sur l’aire grisâtre, n’eût pu se défendre d’une mystérieuse terreur.

Le père Clouïs prit son tronçon de fusil, qu’il montra en soupirant à Pitou. Et d’abord il lui montra la tenue et le port du militaire. C’était, du reste, chose curieuse que le redressement subit de ce grand vieillard, toujours voûté par l’habitude de passer dans les taillis, et qui, ravivé par le souvenir du régiment et l’aiguillon de l’exercice, secouait sa tête à crinière blanche au-dessus d’épaules sèches, larges et solidement attachées.

— Regarde bien, disait-il à Pitou, regarde bien ! c’est en regardant qu’on apprend. Quand tu auras bien vu comme je fais, essaie, et je te regarderai à mon tour.

Pitou essaya.

— Rentre tes genoux, efface tes épaules, donne un jeu libre à ta tête :