Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/550

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Pitou ensuite se flattait d’avoir son mérite ; il se comparait à violette, qui exhale sournoisement et invisiblement ses parfums.

Invisiblement quant aux parfums, c’était un peu trop vrai ; mais la vérité est dans le vin, fût-ce dans le vin d’Haramont.

Pitou, ainsi reconforté contre les mauvais penchants par la philosophie, s’avoua qu’il avait tenu envers cette jeune fille une conduite déplacée, sinon condamnable.

Il se dit que c’était le moyen de se faire exécrer, que le calcul était des plus mauvais ; que, éblouie par monsieur de Charny, Catherine prendrait le prétexte de ne pas reconnaître les brillantes et solides qualités de Pitou, si Pitou annonçait mauvais caractère.

Il fiillait donc faire preuve d’un bon caractère envers Catherine.

Et comment ?

Un lovelace eût dit : Cette fille me trompe et me joue, je la jouerai et me moquerai d’elle.

Un lovelace eût dit : Je la mépriserai, je lui ferai honte de ses amours comme autant de turpitudes. Je la rendrai peureuse, je la déshonorerai, je lui ferai trouver épineux les sentiers du rendez-vous.

Pitou, cette bonne âme, cette belle âme, chauffée à blanc par le vin et le bonheur, se dit qu’il rendrait Catherine tellement honteuse de ne pas aimer un garçon tel que lui, qu’un jour il se confesserait d’avoir eu d’autres idées.

Et puis, faut-il le dire, les chastes idées de Pitou ne pouvaient admettre que la belle, la chaste, la fière Catherine, fut autre chose pour monsieur Isidore qu’une jolie coquette, souriant aux jabots de dentelle et aux culottes de peau dans les bottes à éperons.

Or, quelle peine cela pouvait-il faire à Pitou ivre, que Catherine se fût éprise d’un jabot et d’un éperon ?

Quelque jour monsieur Isidore irait à la ville, épouserait une comtesse, ne regarderait plus Catherine, et le roman finirait.

Toutes ces réflexions dignes d’un vieillard, le vin, qui rajeunit les vieux, les inspirait à notre brave chef des gardes nationaux d’Haramont.

Or, pour prouver à Catherine qu’il était homme de bon caractère, il résolut de rattraper une à une toutes les mauvaises paroles de la soirée.

Pour cela faire il fallait d’abord rattraper Catherine.

Les heures n’existent pas pour un homme ivre qui n’a pas de montre.

Pitou n’avait pas de montre, et il n’eût pas fait dix pas hors de la maison qu’il fut ivre comme Bacchus ou son fils bien-aimé Thespis.

Il ne se souvint plus qu’il avait, depuis plus de trois heures, quitté Catherine, et que Catherine n’avait besoin, pour rentrer à Pisseleux, que d’une petite heure au plus.