Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/59

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dire. Ce n’est donc pas moi qui ai lu la lettre ; c’est le maréchal des logis de la gendarmerie, que j’ai rencontré. — Et que vous disait-elle, cette lettre, mon père ? Il est toujours content de nous, n’est-ce pas ? — Juges-en.

Et le fermier tira d’un portefeuille de cuir une lettre qu’il présenta à sa fille.

Catherine lut ;

« Mon cher monsieur Billot,

« J’arrive d’Amérique, où j’ai trouvé un peuple plus riche, plus grand et plus heureux que le nôtre. Cela vient de ce qu’il est libre et que nous ne le sommes pas. Mais nous marchons, nous aussi, vers une ère nouvelle, et il faut que chacun travaille à hâter le jour où la lumière luira. Je connais vos principes, mon cher monsieur Billot ; je sais votre influence sur les fermiers vos confrères, et sur toute cette brave population d’ouvriers et de laboureurs à qui vous commandez, non pas comme un roi, mais comme un père. Inculquez-leur les principes de dévouement et de fraternité que j’ai reconnus en vous. La philosophie est universelle. Tous les hommes doivent lire leurs droits et leurs devoirs à la lueur de son flambeau. Je vous envoie un petit livre dans lequel tous ces devoirs et tous ces droits sont consignés. Ce petit livre est de moi, quoique mon nom ne soit pas sur la couverture. Propagez-en les principes, qui sont ceux de l’égalité universelle ; faites-le lire tout haut dans les longues veillées d’hiver. La lecture est la pâture de l’esprit, comme le pain est la nourriture du corps.

« Un de ces jours j’irai vous voir, et vous proposer un nouveau mode de fermage fort en usage en Amérique. Il consiste à partager la récolte entre le fermier et le propriétaire. Ce qui me paraît plus selon les lois de la société primitive, et surtout selon le cœur de Dieu.

« Salut et fraternité.

« Honoré Gilbert,
« Citoyen de Philadelphie. »

— Oh ! oh ! dit Pitou, que voici une lettre qui me semble bien rédigée. — N’est-ce pas ? dit Billot. — Oui, mon cher père, dit Catherine ; mais je doute que le lieutenant de gendarmerie soit de votre avis. — Et pourquoi cela ? — Parce qu’il me semble que cette lettre peut compromettre, non seulement le docteur Gilbert, mais encore vous-même — Bah ! dit Billot, tu as toujours peur, toi. Ça n’empêche pas que voilà la brochure, et voilà ton emploi tout trouvé, Pitou ; le soir tu la liras. — Et dans la journée ? — Dans la journée tu garderas les moutons et les vaches. Voilà toujours ta brochure.