Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/60

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Et le fermier tira de ses fontes une de ces petites brochures à couverture rouge, comme il s’en publiait grand nombre à cette époque, avec ou sans permission de l’autorité.

Seulement, dans ce dernier cas, l’auteur risquait les galères.

— Lis-moi le titre de cela, Pitou, que je parle toujours du titre, en attendant que je parle de l’ouvrage. Tu me liras le reste plus tard.

Pitou lut sur la première page ces mots que l’usage a faits bien vagues et bien insignifiants depuis, mais qui avaient, à cette époque, un profond retentissement dans tous les cœurs : De l’Indépendance de l’Homme et de la Liberté des Nations.

— Que dis-tu de cela, Pitou ? demanda le fermier. — Je dis qu’il me semble, monsieur Billot, que l’indépendance et la liberté c’est la même chose ; mon protecteur serait chassé de la classe de monsieur Fortier pour cause de pléonasme. — Pléonasme ou non, c’est le livre d’un homme, ce livre-là, dit le fermier. — N’importe ! mon père, dit Catherine, avec cet admirable instinct des femmes, cachez-le, je vous en supplie ! il vous fera quelque mauvaise affaire. Moi, je sais que je tremble, rien que de le voir. — Et pourquoi veux-tu qu’il me nuise, à moi, puisqu’il n’a pas nui à son auteur ? — Qu’en savez-vous, mon père ? il y a huit jours que cette lettre est écrite, et le paquet n’a pu mettre huit jours pour venir du Havre ici. Moi aussi j’ai reçu une lettre ce matin. — Et de qui ? — De Sébastien Gilbert, qui nous écrit de son côté ; il me charge même de dire bien des choses à son frère de lait Pitou ; j’avais oublié la commission, moi. — Eh bien ? — Eh bien ! il dit que depuis trois jours on attend à Paris son père, qui devait arriver et qui n’arrive pas. — Mademoiselle a raison, dit Pitou ; il me semble que ce retard est inquiétant. — Tais-toi, peureux, et lis le traité du docteur, dit le fermier ; alors tu deviendras non-seulement un savant, mais encore un homme.

On parlait ainsi à cette époque, car on était à la préface de cette grande histoire grecque et romaine que la nation française copia pendant dix ans dans toutes ses phases : dévouements, proscriptions, victoires et esclavage.

Pitou mit le livre sous son bras, avec un geste si solennel, qu’il acheva de gagner le cœur du fermier.

— Maintenant, dit Billot, as-tu dîné ? — Non, Monsieur, répondit Pitou conservant l’altitude semi-religieuse, semi-héroïque qu’il avait prise depuis qu’il avait reçu le livre. — Il allait justement dîner quand on l’a chassé, dit la jeune fille. — Eh bien ! dit Billot, va demander à la mère Billot l’ordinaire de la ferme, et demain tu entreras en fonctions.

Pitou remercia d’un regard éloquent monsieur Billot, et, conduit par