Billot entra suivi de Pitou. Toutes les têtes se découvrirent, tous les chapeaux s’agitèrent au bout des bras. On comprenait que tous ces hommes-là étaient prêts à se faire tuer sur un signe du maître.
Le fermier expliqua aux paysans que la brochure que Pitou allait leur lire était l’ouvrage du docteur Gilbert. Le docteur Gilbert était fort connu dans tout le canton, où il avait plusieurs propriétés, dont la ferme tenue par Billot était la principale.
Un tonneau était préparé pour le lecteur. Pitou monta sur cette tribune improvisée, et commença la lecture.
Il est à remarquer que les gens du peuple, et j’oserai presque dire les hommes en général, écoutent avec d’autant plus d’attention qu’ils comprennent moins. Il est évident que le sens général de la brochure échappait aux esprits les plus éclairés de la rustique assemblée, et à Billot lui-même. Mais, au milieu de cette phraséologie obscure, passaient, comme des éclairs dans un ciel sombre et chargé d’électricité, les mots lumineux d’indépendance, de liberté et d’égalité. Il n’en fallut pas davantage ; les applaudissements éclatèrent ; les cris de : Vive le docteur Gilbert ! retentirent. Le tiers de la brochure à peu près avait été lu ; il fut décidé qu’on la lirait en trois dimanches.
Les auditeurs furent invités à se réunir le dimanche suivant, et chacun promit d’y assister.
Pitou avait fort bien lu. Rien ne réussit comme le succès. Le lecteur avait pris sa part des applaudissements adressés à l’ouvrage, et, subissant l’influence de cette science relative, monsieur Billot lui-même avait senti naître en lui une certaine considération pour l’élève de l’abbé Fortier. Pitou, déjà plus grand que nature au physique, avait moralement grandi de dix coudées.
Une seule chose lui manquait : mademoiselle Catherine n’avait pas assisté à son triomphe.
Mais le père Billot, enchanté de l’effet qu’avait produit la brochure du docteur, se hâta de faire part de ce succès à sa femme et à sa fille. Madame Billot ne répondit rien : c’était une femme à courte vue.
Mais Catherine sourit tristement.
— Eh bien ! qu’as-tu encore ? dit le fermier. — Mon père, mon père ! dit Catherine, j’ai peur que vous vous compromettiez. — Allons ! ne vas-tu pas faire l’oiseau de mauvais augure ? Je te préviens que j’aime mieux l’alouette que le hibou. — Mon père, on m’a déjà dit de vous prévenir qu’on avait les yeux sur vous. — Et qui t’a dit cela, s’il te plaît ? — Un ami. — Un ami ? Tout conseil mérite remerciement. Tu vas me dire le nom de cet ami. Quel est-il, voyons ? — Un homme qui doit être bien informé. — Qui ? enfin. — Monsieur Isidore de Charny. — De