Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/78

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car à peine fut-elle achevée que la jeune fille proposa à Pitou de reprendre le chemin de la ferme. Jamais proposition ne fut accueillie avec plus d’empressement ; mais le coup était porté, et Pitou, tout en faisant des enjambées que Catherine était obligée de retenir de temps en temps, gardait le silence le plus absolu.

— Qu’avez-vous donc ? lui dit enfin Catherine, et pourquoi ne me parlez-vous pas ? — Je ne vous parle pas, Mademoiselle, dit Pitou, parce que je ne sais pas parler comme monsieur de Charny. Que voulez-vous que je vous dise encore, après toutes les belles choses qu’il vous a dites en dansant avec vous ? — Voyez comme vous êtes injuste, monsieur Ange, nous parlions de vous. — De moi, Mademoiselle, et comment cela ? — Dam ! monsieur Pitou, si votre protecteur ne se retrouve pas, il faudra bien vous en choisir un autre. — Je ne suis donc plus bon pour tenir les écritures de la ferme ? demanda Pitou avec un soupir. — Au contraire, monsieur Ange, c’est que je crois que ce sont les écritures de la ferme qui ne sont point assez bonnes pour vous. Avec l’éducation que vous avez reçue, vous pouvez arriver à mieux que cela. — Je ne sais pas à quoi j’arriverai ; mais ce que je sais, c’est que je ne veux arriver à rien si je ne puis arriver à quelque chose que par monsieur le vicomte de Charny. — Et pourquoi refuseriez-vous sa protection ? son frère, le comte de Charny, est, à ce qu’il paraît, admirablement en cour, et a épousé une amie particulière de la reine. Il me disait que, si cela pouvait m’être agréable, il vous ferait avoir une place dans les gabelles. — Bien obligé, Mademoiselle, mais, je vous l’ai déjà dit, je me trouve bien comme je suis, et à moins que votre père ne me renvoie, je resterai à la ferme. — Et pourquoi diable te renverrais-je ? dit une grosse voix que Catherine, en tressaillant, reconnut pour celle de son père. — Mon cher Pitou, dit tout bas Catherine, ne parlez pas de monsieur Isidore, je vous en prie. — Hein ! réponds donc ! — Mais… je ne sais pas, dit Pitou fort embarrassé, peut-être ne me trouvez-vous pas assez savant pour vous être utile. — Pas assez savant ! quand tu comptes comme Barème, et que tu lis à en remontrer à notre maître d’école, qui se croit cependant un grand clerc. Non, Pitou, c’est le bon Dieu qui conduit chez moi les gens qui y entrent, et, une fois qu’ils y sont entrés, ils y restent tant qu’il plaît au bon Dieu.

Pitou rentra à la ferme sur cette assurance ; mais quoique ce fût bien quelque chose, ce n’était point assez. Il s’était fait un grand changement en lui entre sa sortie et sa rentrée. Il avait perdu une chose qui, une fois perdue, ne se retrouve plus : c’était la confiance en lui-même ; aussi Pitou, contre son habitude, dormit-il fort mal. Dans ses moments d’insomnie, il se rappela le livre du docteur Gilbert ; ce livre était princi-