Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/79

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palement contre la noblesse, contre les abus des classes privilégiées, contre la lâcheté de ceux qui s’y soumettent ; il sembla à Pitou qu’il commençait seulement à comprendre toutes les belles choses qu’il avait lues le matin, et il se promit, dès qu’il ferait jour, de relire pour lui seul, et tout bas, le chef-d’œuvre qu’il avait lu tout haut et à tout le monde.

Mais, comme Pitou avait mal dormi, Pitou s’éveilla tard. Il n’en résolut pas moins de mettre à exécution son projet de lecture. Il était sept heures. Le fermier ne devait rentrer qu’à neuf ; d’ailleurs, rentrât-il, il ne pouvait qu’applaudir à une occupation qu’il avait lui-même recommandée.

Il descendit par un petit escalier en échelle, et alla s’asseoir sur un banc au-dessous de la fenêtre de Catherine. Était-ce le hasard qui avait amené là Pitou juste en cet endroit, ou connaissait-il les situations respectives de cette fenêtre et de ce banc ?

Tant il y a que Pitou, rentré dans son costume de tous les jours, qu’on n’avait pas eu encore le temps de remplacer, et qui se composait de sa culotte noire, de sa souquenille verte et de ses souliers rougis, tira la brochure de sa poche et se mit à lire.

Nous n’oserions pas dire que les commencements de cette lecture eurent lieu sans que les yeux du lecteur se détournassent de temps en temps du livre à la fenêtre ; mais comme la fenêtre ne présentait aucun buste de jeune fille dans son encadrement de capucines et de volubilis, les yeux de Pitou finirent par se fixer invariablement sur le livre.

Il est vrai que, comme sa main négligeait d’en tourner les feuillets, et que plus son attention paraissait profonde, moins sa main se dérangeait, on pouvait croire que son esprit était ailleurs et qu’il rêvait au lieu de lire.

Tout à coup il sembla à Pitou qu’une ombre se projetait sur les pages de la brochure, jusque-là éclairées par le soleil matinal. Cette ombre, trop épaisse pour être celle d’un nuage, ne pouvait donc être produite que par un corps opaque ; or, il y a des corps opaques si charmants à regarder, que Pitou se retourna vivement pour voir quel était celui qui lui interceptait le soleil.

Pitou se trompait. C’était bien effectivement un corps opaque qui lui faisait tort de cette part de lumière et de chaleur que Diogène réclamait d’Alexandre ; mais ce corps opaque, au lieu d’être charmant, présentait au contraire un aspect assez désagréable.

C’était celui d’un homme de quarante-cinq ans, plus long et plus mince encore que Pitou, vêtu d’un habit presque aussi râpé que le sien, et qui, penchant sa tête par-dessus son épaule, semblait lire avec autant de curiosité que Pitou y mettait de distraction.