Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/10

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pas plus que les courses maritimes, prenez, nouveau Cléofas, un pan de mon manteau, et je vais vous transporter avec moi sur le cône renversé du Piéterboot, la plus haute montagne de l’île après le piton de la rivière Noire. Puis, arrivés là, nous regarderons de tous côtés, et successivement à droite, à gauche, devant et derrière, au-dessous de nous et au-dessus de nous.

Au-dessus de nous, vous le voyez, c’est un ciel toujours pur tout constellé d’étoiles ; c’est une nappe d’azur où Dieu soulève sous chacun de ses pas une poussière d’or, dont chaque atome est un monde.

Au-dessous de nous, c’est l’île tout entière étendue à nos pieds, comme une carte géographique de cent quatre-cinq lieues de tour, avec ses soixante rivières qui semblent d’ici des fils d’argent destinés à fixer la mer autour du rivage, et ses trente montagnes tout empanachées de bois de nattes, de takamakas et de palmiers. Parmi toutes ces rivières, voyez les cascades du Réduit et de la Fontaine, qui, du sein des bois où elles prennent leurs sources, lancent au galop leurs cataractes, pour aller, avec une rumeur retentissante comme le bruit d’un orage, à l’encontre de la mer qui les attend, et qui, calme ou mugissante, répond à leurs défis éternels, tantôt par le mépris, tantôt par la colère ; lutte de conquérants à qui fera dans le monde plus de ravages et plus de bruit ; puis, près de cette ambition trompée, voyez la grande rivière Noire qui roule tranquillement son eau fécondante, et qui impose son nom respecté a tout ce qui l’environne, montrant ainsi le triomphe de la sagesse sur la force, et du calme sur l’emportement. Parmi toutes ces montagnes, voyez encore le morne Brabant, sentinelle géante placée sur la pointe septentrionale de l’île pour la défendre contre les surprises de l’ennemi, et briser les fureurs de l’Océan. Voyez le piton des Trois-Mamelles, à la base duquel coulent la rivière du Tamarin et la rivière du Rempart, comme si l’Isis indienne avait voulu justifier en tout son nom. Voyez enfin le Pouce, après le Piéterboot, où nous sommes, le pic le plus majestueux de l’île, et qui semble lever un doigt au ciel pour montrer au maître et à ses esclaves qu’il y a au-dessus de nous un tribunal qui fera justice à tous deux.