Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/11

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Devant nous, c’est le port Louis, autrefois le port Napoléon, la capitale de l’île, avec ses nombreuses maisons en bois, ses deux ruisseaux qui, à chaque orage, deviennent des torrents, son île des Tonneliers, qui en défend les approches, et sa population bariolée qui semble un échantillon de tous les peuples de la terre, depuis le créole indolent, qui se fait porter en palanquin s’il a besoin de traverser la rue, et pour qui parler est une si grande fatigue qu’il a habitué ses esclaves à obéir à son geste, jusqu’au nègre que le fouet conduit le matin au travail et que le fouet ramène du travail le soir : entre ces deux extrémités de l’échelle sociale, voyez les Lascars verts et rouges, que vous distinguez à leurs turbans qui ne sortent pas de ces deux couleurs, et à leurs traits bronzés, mélange du type malais et du type malabare, voyez le nègre Yoloff, de la grande et belle race de la Sénégambie, au teint noir comme du jais, aux yeux ardents comme des escarboucles, aux dents blanches comme des perles. Le Chinois court, à la poitrine plate et aux épaules larges, avec son crâne nu, ses moustaches pendantes, son patois que personne n’entend et avec lequel cependant tout le monde traite ; car le Chinois vend toutes les marchandises, fait tous les métiers, exerce toutes les professions ; car le Chinois, c’est le juif de la colonie. Les Malais, cuivrés, petits, vindicatifs, rusés, oubliant toujours un bienfait, jamais une injure ; vendant, comme les bohémiens, de ces choses qu’on demande tout bas. Les Mozambiques, doux, bons et stupides, et estimés seulement à cause de leur force. Les Malgaches, fins, rusés, au teint olivâtre, au nez épaté et aux grosses lèvres, et qu’on distingue des nègres du Sénégal au reflet rougeâtre de leur peau. Les Namaquais, élancés, adroits et fiers, dressés dès leur enfance à la chasse du tigre et de l’éléphant, et qui s’étonnent d’être transportés sur une terre où il n’y a plus de monstres à combattre. Enfin, au milieu de tout cela, l’officier anglais en garnison dans l’île ou en station dans le port ; l’officier anglais, avec son gilet rond écarlate, son shako en forme de casquette, son pantalon blanc ; l’officier anglais, qui regarde du haut de sa grandeur créoles et mulâtres, maîtres et esclaves, colons et indigènes, ne parle que de