Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/115

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Au reste, mamie Henriette et Sara formaient bien le contraste physique et moral le plus accentué qu’il soit possible d’imaginer. Le lecteur connaît déjà Sara, la capricieuse jeune fille aux cheveux et aux yeux noirs, au teint changeant comme son esprit, aux dents de perles, aux mains et aux pieds d’enfant, au corps souple et ondoyant comme celui d’une sylphide ; qu’il nous permette de lui dire maintenant quelques mots de mamie Henriette.

Henriette Smith était née dans la métropole : c’était la fille d’un professeur, qui, l’ayant elle-même destinée à l’éducation, lui avait fait apprendre, dès son enfance, l’italien et le français, qui lui étaient au reste, grâce à cette étude juvénile, aussi familiers que son idiome maternel. Le professorat est, comme chacun sait, un métier où l’on amasse généralement peu de fortune. Jaks Smith était donc mort pauvre, laissant sa fille Henriette pleine de talent, mais sans un sou de dot, ce qui fait que la jeune miss atteignit l’âge de vingt-cinq ans sans trouver un mari.

À cette époque, une de ses amies, excellente musicienne, comme elle-même était parfaite philologue, proposa à mademoiselle Smith de mettre leurs deux talents en communauté, et d’élever une pension de compte à demi. L’offre était acceptable et fut acceptée. Mais quoique chacune des deux associées mît à l’éducation des jeunes filles qui leur étaient confiées toute l’attention, tout le soin et tout le dévouement dont elle était capable, l’établissement ne prospéra point, et force fut aux deux maîtresses de rompre leur association.

Sur ces entrefaites, le père d’une des élèves de miss Henriette Smith, riche négociant de Londres, reçut de monsieur de Malmédie, son correspondant, une lettre dans laquelle il lui demandait une gouvernante pour sa nièce, offrant à cette institutrice des avantages suffisants pour compenser les sacrifices qu’elle faisait en s’expatriant. Cette lettre fut communiquée à miss Henriette. La pauvre fille était sans ressource aucune ; elle ne tenait pas beaucoup à un pays où elle n’avait d’autre perspective que de mourir de faim. Elle regarda l’offre qu’on lui faisait comme une bénédiction du ciel, et elle s’embarqua sur le premier vaisseau qui mit à la voile pour l’île de France, recommandée à monsieur de Malmédie comme une personne