Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/119

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immortelle du Cap. Tout cela était enfermé dans des haies de frangipaniers et de roses de Chine, qui, comme nos roses des quatre saisons, fleurissent toute l’année. Cela, c’était le royaume de Sara ; le reste de l’île, c’était sa conquête.

Tant que Sara demeurait dans les jardins de l’habitation, tout allait bien pour mamie Henriette, qui trouvait des chemins sablés, de frais ombrages, et un air plein de parfums. Mais on comprend que ce moment de tranquillité était bien court. Le temps de dire un mot d’amitié à la vieille mulâtresse qui avait été au service de Sara, et qui passait ses invalides à la rivière Noire ; le temps de donner un baiser à sa tourterelle favorite ; le temps de cueillir deux ou trois fleurs et de les mettre dans ses cheveux, c’était fini. Le tour de la promenade arrivait, et là commençaient les angoisses de la pauvre gouvernante. Dans les commencements, mamie Henriette avait bien voulu résister à la petite indépendante, et la plier à des plaisirs moins vagabonds, mais elle avait reconnu que c’était chose impossible : Sara s’était échappée de ses mains, et avait fait ses courses sans elle, de sorte que, son inquiétude pour son élève étant encore plus grande que ses craintes personnelles, elle avait fini par prendre sur elle d’accompagner Sara. Il est vrai qu’elle se contentait presque toujours de s’asseoir sur un point élevé, d’où elle pouvait suivre des yeux la jeune fille dans les ascensions ou les descentes. Mais du moins il lui semblait qu’elle la retenait du geste et la soutenait de la vue. Cette fois, comme toujours, mamie Henriette, voyant Sara disposée à partir, se résigna donc comme d’habitude, prit un livre pour lire pendant qu’elle courrait et se prépara à l’accompagner.

Mais cette fois, Sara avait projeté autre chose qu’une promenade, et c’était un bain qu’elle s’était promis ; un bain dans cette belle baie de la rivière Noire, si calme, si paisible ; dans cette eau si transparente, qu’on voit à vingt pieds de profondeur les madrépores qui poussent sur le sable, et toute la famille des crustacés qui se promène entre leurs rameaux. Seulement, comme d’habitude, elle s’était bien gardée d’en rien dire à mamie Henriette ; la vieille mulâtresse seule était prévenue, et elle devait attendre avec son costume de bain Sara au rendez-vous indiqué.