Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/122

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distraite par les signes que lui faisait Sara. Sara, tout en nageant d’une main, étendait l’autre vers les profondeurs du bois, indiquant qu’il se passait quelque chose de nouveau sous ces sombres voûtes de verdure. Mamie Henriette écouta, et elle entendit les aboiements lointains d’une meute. Au bout d’un instant, il lui sembla que ces aboiements se rapprochaient, et elle fut confirmée dans cette opinion par de nouveaux signes de Sara ; en effet, de moment en moment, le bruit devenait plus distinct, et bientôt on entendit le piétinement d’une course rapide au milieu de cette haute futaie ; enfin, tout à coup, à deux cents pas au-dessus de l’endroit où était assise mamie Henriette, on vit un beau cerf, les bois reployés en arrière, sortir de la forêt, s’élancer d’un seul bond par-dessus la rivière, et disparaître de l’autre côté.

Au bout d’un instant, les chiens parurent à leur tour, franchirent la rivière à l’endroit où le cerf l’avait franchie, et disparurent, s’enfonçant sur sa trace dans la forêt.

Sara avait pris part à ce spectacle avec la joie d’une véritable chasseresse. Aussi, lorsque cerf et chiens furent disparus, poussa-t-elle un véritable cri de plaisir ; mais à ce cri de plaisir répondit un cri de terreur si profond et si déchirant, que mamie Henriette se retourna épouvantée. La vieille mulâtresse, pareille à la statue de l’Épouvante, debout sur le rivage, étendait le bras vers un énorme requin qui, à l’aide du flux, avait franchi la barre, et qui, à soixante pas à peine de Sara, nageait à fleur d’eau vers elle. La gouvernante n’eut pas même la force de crier : elle tomba à genoux.

Au cri de la mulâtresse, Sara s’était retournée, et elle avait vu le danger qui la menaçait. Alors, avec une admirable présence d’esprit, elle se dirigea vers la partie la plus proche du rivage. Mais cette partie la plus proche était éloignée de quarante pas au moins, et quelle que fût la force et l’habileté avec laquelle elle nageait, il était probable qu’elle serait jointe par le monstre avant qu’elle n’eût eu le temps de joindre la terre.

En ce moment un second cri se fit entendre, et un nègre, serrant un long poignard entre ses dents, bondit du milieu des mangliers qui bordaient le rivage, et d’un seul élan se trouva au tiers de la largeur de la baie, puis aussitôt, se