met duquel se dressent des mâts de vaisseaux qui d’ici nous semblent fins et déliés comme des branches de saule ; voici le cap Malheureux, voici la baie des Tombeaux, voici l’église des Pamplemousses. C’est dans ce quartier que s’élevaient les deux cabanes voisines de madame de Latour et de Marguerite ; c’est au cap Malheureux que se brisa le Saint-Géran ; c’est à la baie des Tombeaux qu’on trouva le corps d’une jeune fille tenant un portrait serré dans sa main ; c’est à l’église des Pamplemousses, et deux mois après, que, côte à côte avec cette jeune fille, un jeune homme du même âge à peu près fut enterré. Or, vous avez deviné déjà le nom des deux amants que recouvre le même tombeau : c’est Paul et Virginie, ces deux Alcyons des tropiques, dont la mer semble, en gémissant sur les récifs qui environnent la côte, pleurer sans cesse la mort, comme une tigresse pleure éternellement ses enfants déchirés par elle-même dans un transport de rage ou dans un moment de jalousie.
Et maintenant, soit que vous parcouriez l’île de la Passe de Descorne, au sud-ouest, ou de Mahebourg au petit Malabar, soit que vous suiviez les côtes ou que vous vous enfonciez dans l’intérieur, soit que vous descendiez les rivières ou que vous gravissiez les montagnes, soit que le disque éclatant du soleil embrase la plaine de rayons de flamme, soit que le croissant de la lune argente les mornes de sa mélancolique lumière, vous pouvez, si vos pieds se lassent, si votre tête s’appesantit, si vos yeux se ferment, si, enivré par les émanations embaumées du rosier de la Chine, du jasmin d’Espagne ou du frangipanier, vous sentez vos sens se dissoudre mollement comme dans une ivresse d’opium, vous pouvez, ô mon compagnon, céder sans crainte et sans résistance à l’intime et profonde volupté du sommeil indien. Couchez-vous donc sur l’herbe épaisse, dormez tranquille et réveillez-vous sans peur, car ce bruit léger qui fait en s’approchant frissonner le feuillage, ces deux yeux noirs et scintillants qui se fixent sur vous, ce ne sont ni le frôlement empoisonné du boqueira de la Jamaïque, ni les yeux du tigre de Bengale. Dormez tranquille et réveillez-vous sans peur ; jamais l’écho de l’île n’a répété le sifflement aigu d’un reptile, ni le hurlement nocturne d’une bête de carnage. Non, c’est une jeune négresse