Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/136

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curiosité qui accompagne une femme entrant dans un salon, est celle de savoir quelle robe nouvelle elle a achetée, d’où cette robe vient, de quelle étoffe elle est faite et quelles garnitures la parent. Or, c’était surtout à l’endroit des femmes anglaises que la curiosité des femmes créoles était excitée ; car, dans cette éternelle lutte de coquetterie dont Port-Louis est le théâtre, la grande question pour les indigènes est de vaincre en luxe les étrangères. Le murmure qui se faisait entendre à chaque nouvelle entrée, le chuchotement qui le suivait était donc en général plus bruyant et plus prolongé, quand l’annonce officielle du valet avait pour objet quelque nom britannique dont la rude consonance jurait autant avec les noms du pays que tranchaient avec les brunes vierges des tropiques les blondes et pâles filles du Nord. À chaque personne nouvelle qui entrait, lord Murrey, avec cette aristocratique politesse qui caractérise les Anglais de la haute société, allait au-devant d’elle : si c’était une femme, lui offrait le bras pour la conduire à sa place, et trouvait en route un compliment à lui faire ; si c’était un homme, lui tendait la main et trouvait un mot gracieux à lui dire ; si bien que tout le monde reconnaissait le nouveau gouverneur pour un homme charmant.

On annonça messieurs et mademoiselle de Malmédie. C’était une annonce attendue avec autant d’impatience que de curiosité, non point précisément parce que monsieur de Malmédie était effectivement un des plus riches et des plus considérables habitants de l’Île de France, mais encore parce que Sara était une des plus riches et des plus élégantes personnes de l’île. Aussi chacun accompagna-t-il des yeux le mouvement que lord Murrey fit pour aller au-devant d’elle, car c’était elle surtout dont la toilette présumée préoccupait le plus les belles invitées.

Contre l’habitude des femmes créoles et contre l’attente générale, la toilette de Sara était des plus simples ; c’était une ravissante robe de mousseline des Indes, transparente et légère comme cette gaze que Juvénal appelle de l’air tissu ; sans une seule broderie, sans une seule perle, sans un seul diamant, garnie d’une branche d’aubépine rose ; une couronne du même arbuste ceignait la tête de la jeune fille, et un bou-