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XIII.

LE NÉGRIER.


Le lendemain matin, ce fut Pierre Munier qui entra le premier chez son fils.

Depuis son arrivée, Georges avait parcouru plusieurs fois la magnifique habitation que son père possédait, et, avec ses idées d’industrie européenne, il avait émis plusieurs idées d’amélioration que, dans sa capacité pratique, le père avait comprises à l’instant même ; mais ces idées nécessitaient l’application d’une augmentation de bras, et l’abolition de la traite publique avait tellement fait renchérir les esclaves qu’il n’y avait pas moyen, sans d’énormes sacrifices, de se procurer dans l’île les cinquante ou soixante nègres dont le père et le fils voulaient augmenter leur maison. Pierre Munier avait donc la veille, en l’absence de Georges, accueilli avec joie la nouvelle qu’il y avait un navire négrier en vue, et, selon l’habitude adoptée alors parmi les colons et les commerçants de chair noire, il était allé pendant la nuit sur la côte, afin de répondre aux signaux du négrier par d’autres signaux qui indiquassent qu’on était dans l’intention de traiter avec lui. Les signaux avaient été échangés, et Pierre Munier venait annoncer à Georges cette bonne nouvelle. Il fut donc convenu que, le soir, le père et le fils se trouveraient vers neuf heures à la Pointe des Caves, au-dessous du Petit-Malabar. Cette convention arrêtée, Pierre Munier sortit pour aller inspecter, selon son habitude, les travaux de la plantation, et, selon son habitude aussi, Georges prit son fusil et gagna les bois pour s’abandonner à ses rêveries.

Ce que Georges avait dit la veille à lord Murrey en le quittant n’était pas une forfanterie, mais au contraire une résolution bien arrêtée ; l’étude de la vie tout entière du jeune mulâtre s’était, comme nous l’avons vu, portée vers ce point, de donner à sa volonté la force et la persistance du génie. Ar-