Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/164

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Cette prise avait fait venir l’eau à la bouche du capitaine Bertrand. Aussi il ne se fut pas plutôt défait de sa prise à un prix convenable, il n’eut pas plutôt partagé les parts entre l’équipage, qui se reposait depuis près d’un an et qui s’ennuyait fort de ce repos, qu’il se remit en quête d’un second trois-mâts. Mais comme on sait, on ne rencontre pas toujours ce qu’on cherche : un beau matin, après une nuit fort noire, la Calypso se trouva nez à nez avec une frégate. Cette frégate, c’était le Leycester, c’est-à-dire le même bâtiment que nous avons vu amener au Port-Louis le gouverneur et Georges.

Le Leycester avait dix canons et soixante hommes d’équipage de plus que la Calypso. En outre, pas la moindre cargaison de cannelle, de sucre ou de café ; mais en échange une sainte-barbe parfaitement garnie et un arsenal de mitraille et de boulets ramés au grand complet. À peine eut-il vu, au reste, à quelle paroisse appartenait la Calypso, que sans le moins du monde crier gare, il lui envoya un échantillon de sa marchandise : c’était un joli boulet de trente-six qui vint s’enfoncer dans la carène.

La Calypso, tout au contraire de sa sœur Galatée qui fuyait pour être vue, aurait bien voulu elle, fuir sans être vue. Il n’y avait rien à gagner avec le Leycester, fût-on même vainqueur, ce qui n’était pas le moindrement probable. Malheureusement il n’était guère plus probable de supposer qu’on lui échapperait, son capitaine étant ce même Williams Murrey, qui n’avait pas encore quitté le service de la marine à cette époque, et qui, avec ces apparences charmantes auxquelles depuis ses travaux diplomatiques avaient encore donné une nouvelle couche, était un des plus intrépides loups de mer qui existassent du détroit de Magellan à la baie de Baffin.

Le capitaine Bertrand fit donc traîner ses deux plus grosses pièces à l’arrière et prit chasse.

La Calypso était un véritable navire de proie, taillé pour la course, avec une carène étroite et allongée ; mais la pauvre hirondelle de mer avait à faire à l’aigle de l’Océan, de sorte que, malgré sa légèreté, il fut bientôt visible que la frégate gagnait sur la goélette.