Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/213

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C’était le tour des poneys ; une trentaine de petits chevaux, tous originaires de Timor et de Pégu, sortirent de l’enceinte réservée, montés par des jockeys indiens, Madécasses ou Malais. — Leur apparition fut saluée par une rumeur universelle, car cette course est encore une de celles qui récréent le plus la population noire de l’île. — En effet, ces petits chevaux à demi sauvages, et presque indomptés, offrent dans leur indépendance beaucoup plus d’inattendu que les chevaux ordinaires. Aussi mille cris partaient-ils à la fois, encourageant les jockeys basanés, sous lesquels bondissait ce troupeau de démons, qu’il fallait toute la force et toute l’habileté de leurs cavaliers pour contenir, et qui menaçaient de ne pas attendre le signal pour peu que le signal se fît attendre. — Le gouverneur fit donc un geste, et le signal lut donné.

Tous partirent, ou pour mieux dire s’envolèrent, car ils semblaient bien plutôt une bande d’oiseaux rasant le sol qu’un troupeau de quadrupèdes touchant la terre. Mais à peine furent-ils arrivés en face du tombeau Malartic, que, selon leur habitude, ils commencèrent à boiter, comme on dit en terme de course, c’est-à-dire que la moitié d’entre eux se déroba dans les bois noirs, emportant ses cavaliers malgré les efforts qu’ils faisaient pour les maintenir dans le Champ-de-Mars. Au pont, le tiers de ceux qui restaient disparut, si bien qu’en approchant du mille Dreaper, il n’en restait plus que sept ou huit ; encore deux ou trois, débarrassés de leurs jockeys, couraient-ils sans cavaliers.

Le course se composait de deux tours ; ils passèrent donc devant le but sans s’arrêter, pareils à un tourbillon emporté par le vent ; puis au tournant ils disparurent. On entendit de grands cris, puis des rires, puis plus rien, et l’on attendit vainement. Le reste des chevaux s’était dérobé, il n’en restait plus un seul en ligne : tous avaient disparu les uns dans les bois du Château d’Eau, les autres aux ruisseaux de l’enfoncement, les autres au pont. Dix minutes se passèrent ainsi.

Puis tout à coup, à la pente montante, on vit reparaître un cheval sans cavalier ; celui-là était entré dans la ville, avait tourné devant l’église et était revenu par une des rues aboutissant au Champ-de-Mars, et il continuait sa course sans être