Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/250

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— Pardon si j’ai l’air de vous interroger ; mais puis-je savoir quel sentiment vous a dicté votre refus ?

— Le sentiment de ma propre dignité.

— Ce sentiment est le seul ? demanda le gouverneur.

— S’il y en a un autre, milord, permettez-moi de le tenir secret.

— Écoutez, Georges, dit le gouverneur avec cette espèce d’abandon qui avait d’autant plus de charme chez lui qu’on savait qu’il était complètement en dehors de sa nature froide et composée, écoutez. Du moment où je vous ai rencontré à bord du Leycester, du moment où j’ai pu apprécier les hautes qualités qui vous distinguent, mon désir a été de faire de vous le lien qui réunirait dans cette île deux castes opposées l’une à l’autre. J’ai commencé par pénétrer vos sentiments, puis vous m’avez fait le confident de votre amour, et je me suis prêté à la demande que vous m’avez faite d’être votre intermédiaire, votre parrain, votre second. Pour ceci, Georges, reprit lord Murrey répondant à l’inclinaison de tête que lui faisait Georges, pour ceci, mon jeune ami, vous ne me devez aucun remerciement, vous alliez vous-même au-devant de mes vœux ; vous secondiez mon plan de conciliation ; vous aplanissiez mes projets politiques. Je vous accompagnai donc chez monsieur de Malmédie, et j’appuyai votre demande de toute l’autorité de ma présence, de tout le poids de mon nom.

— Je le sais, milord, et je vous remercie. Mais vous l’avez vu vous-même : ni le poids de votre nom, tout honorable qu’il soit, ni l’autorité de votre présence, quelque flatteuse qu’elle dût être, ne purent m’épargner un refus.

— J’en ai souffert autant que vous, Georges. J’ai admiré votre calme, et j’ai compris à votre sang-froid que vous vous ménagiez une terrible revanche. Cette revanche, le jour des courses, vous l’avez prise en face de tous, et de ce jour j’ai encore compris que, selon toute probabilité, il me faudrait renoncer à mes projets de conciliation.

— Je vous avais prévenu en vous quittant, milord.

— Oui, je le sais, mais écoutez-moi. Je ne me suis pas regardé comme battu ; je me suis présenté hier chez monsieur de Malmédie, et à force de prières et d’instances, et en abu-