Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/35

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le sentiment de son infériorité, qu’il ne pouvait vaincre en face des blancs, disparut, et fit place à l’appréciation de son propre mérite : sa grande taille courbée se redressa de toute sa hauteur, ses yeux, qu’il avait tenus humblement baissés ou vaguement errants devant monsieur de Malmédie, lancèrent des flammes. Sa voix, tremblante un instant auparavant, prit un accent de fermeté terrible, et ce fut avec un geste plein de noble énergie, que, rejetant sa carabine en bandoulière sur son épaule, il tira son sabre, et que, étendant son bras nerveux vers l’ennemi, il cria à son tour : — En avant !

Puis, jetant un dernier regard au plus jeune de ses enfants, rentré sous la protection du nègre à la veste bleue, et qui, plein d’orgueilleuse joie, frappait ses deux mains l’une contre l’autre, il disparut avec sa noire escorte à l’angle de la même rue par laquelle venaient de disparaître la troupe de ligne et les gardes nationaux, en criant une dernière fois au nègre à la veste bleue : — Télémaque, veille sur mon fils !

La ligne de défense se divisait en trois parties. À gauche, le bastion Fanfaron assis sur les bords de la mer et armé de dix-huit canons, au milieu le retranchement proprement dit, bordé de vingt-quatre pièces d’artillerie, et à droite la batterie Dumas, protégée seulement par six bouches à feu.

L’ennemi vainqueur, après s’être avancé d’abord en trois colonnes sur les trois points différents, abandonna les deux premiers dont il reconnut bientôt la force, pour se rabattre sur le troisième, qui, non-seulement, comme nous l’avons dit, était le plus faible, mais qui encore n’était défendu que par les artilleurs nationaux : cependant, contre toute attente, à la vue de cette masse compacte qui marchait sur elle avec la terrible régularité de la discipline anglaise, cette belliqueuse jeunesse, au lieu de s’intimider, courut à son poste, manœuvrant avec la prestesse et l’habileté de vieux soldats, et faisant un feu si bien nourri et si bien dirigé, que la troupe ennemie crut s’être trompée sur la force de la batterie et sur les hommes qui la servaient : néanmoins, elle avançait toujours, car plus cette batterie était meurtrière, plus il était urgent d’éteindre son feu. Mais alors la maudite se fâcha tout à fait, et, pareille à un bateleur qui fait oublier un tour incroyable par un tour plus incroyable encore, elle redoubla ses volées,