Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/53

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puisque nous sommes en France, et ensuite je ne puis me décider à abandonner ainsi un cheval de mille louis, ou plutôt qui n’a pas de prix ; étant de la race d’Al Borach.

— Mille louis, mille louis ! je vous les donnerai quand vous voudrez, les mille louis, ou leur équivalent. Voilà plus d’un million qu’il me coûte, à moi, votre cheval, sans compter les jours d’existence qu’il m’enlève.

— Qu’a-t-il donc fait encore, ce pauvre Djérid ? Voyons !

— Ce qu’il a fait ? Il a fait que quelques minutes encore et l’élixir bouillait sans qu’une seule goutte s’en fût échappée, ce que n’indiquent, il est vrai, ni Zoroastre, ni Paracelse, mais ce que recommande positivement Borri.

— Eh bien ! cher maître, encore quelques secondes, et l’élixir bouillira.

— Ah ! oui, bouillir ! voyez, Acharat, c’est comme une malédiction, mon feu s’éteint, je ne sais ce qui tombe par la cheminée.

— Je le sais, moi, ce qui tombe par la cheminée, reprit le disciple en riant, c’est de l’eau.

— Comment ! de l’eau ? De l’eau ! eh bien ! alors voilà mon élixir perdu ! c’est encore une opération à recommencer. Comme si j’avais du temps à perdre ! Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria le vieux savant en levant les mains au ciel avec désespoir, de l’eau ! et quelle eau, je vous le demande, Acharat ?

— De l’eau pure du ciel, maître ; il pleut à verse, ne vous en êtes-vous pas aperçu ?

— Est-ce que je m’aperçois de quelque chose quand je suis à l’œuvre ! De l’eau !… c’est donc cela !… Voyez-vous, Acharat, c’est impatientant, sur ma pauvre âme ! Comment ! depuis six mois je vous demande une mitre pour ma cheminée… Depuis six mois !… que dis-je ? depuis un an. Eh bien ! vous n’y pensez jamais… vous qui n’avez que cela à faire, cependant, puisque vous êtes jeune. Qu’arrive-t-il, grâce à votre négligence ? c’est que la pluie aujourd’hui, c’est que le vent demain, confondent tous mes calculs et ruinent toutes mes opérations ; et pourtant il faut que je me presse, par Jupiter ! vous le savez bien, mon jour arrive, et si je ne suis pas en mesure pour ce jour-