Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 1.djvu/92

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Et Balsamo, après avoir levé son verre, le vida jusqu’à la dernière goutte.

— Vous, vous m’avez vu à cette époque ? répéta le baron. Impossible !

— Je vous ai vu, dit Balsamo.

— Sur la grand-route ?

— Sur la grand-route.

— Tenant les chevaux ?

— Tenant les chevaux.

— Au moment du duel ?

— Comme le prince rendait le dernier soupir, je vous l’ai dit.

— Mais vous avez donc cinquante ans ?

— J’ai l’âge qu’il faut avoir pour vous avoir vu.

Cette fois le baron se renversa sur son fauteuil avec un mouvement si dépité que Nicole ne put s’empêcher de rire.

Mais Andrée, au lieu de rire comme Nicole, se prit à rêver, les yeux fixés sur Balsamo.

On eût dit que celui-ci attendait ce moment et l’avait prévu.

Se levant tout à coup, il lança deux ou trois éclairs de sa prunelle enflammée à la jeune fille, qui tressaillit comme si elle eût été frappée d’une commotion électrique.

Ses bras se raidirent, son cou s’inclina, elle sourit comme malgré elle à l’étranger, puis ferma les yeux.

Celui-ci, toujours debout, lui toucha les bras : elle tressaillit encore.

— Et vous aussi, mademoiselle, dit-il, vous croyez que je suis un menteur, lorsque je prétends avoir assisté au siège de Philipsbourg ?

— Non, monsieur, je vous crois, articula Andrée en faisant un effort surhumain.

— Alors c’est moi qui radote, dit le vieux baron. Ah ! pardon ! à moins toutefois que monsieur ne soit un revenant, une ombre ?

Nicole ouvrit de grands yeux effarés.

— Qui sait ? dit Balsamo, avec un accent si grave qu’il acheva de captiver la jeune fille.