Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 2.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

assez, ô mon roi, pour écarter tous les malheurs qui vont fondre sur nous ! Cette bonté, que Dieu m’a donnée, cette pureté que, depuis vingt ans, je m’efforce de purifier sans cesse, ne font pas encore, j’en ai peur, la mesure de candeur et d’innocence qu’il faudrait à la victime expiatoire.

Le roi se recula d’un pas, et regardant madame Louise avec étonnement.

— Jamais vous ne m’avez parlé ainsi, dit-il. Vous vous égarez, chère enfant ; l’ascétisme vous perd.

— Oh ! sire, n’appelez pas de ce nom mondain le dévouement le plus vrai et surtout le plus nécessaire que jamais sujette ait offert à son roi, et fille à son père, dans un pressant besoin. Sire, votre trône, dont tout à l’heure vous m’offriez orgueilleusement l’ombre protectrice, sire, votre trône chancelle sous des coups que vous ne sentez pas encore, mais que je devine déjà, moi. Quelque chose de profond se creuse sourdement, comme un abîme où peut tout à coup s’engloutir la monarchie. Vous a-t-on jamais dit la vérité, sire ?

Madame Louise regarda autour d’elle pour voir si nul n’était à portée de l’entendre, et, sentant tout le monde à distance, elle continua :

— Eh bien ! je la sais moi, moi, qui, sous l’habit d’une sœur de la Miséricorde, ai vingt fois visité les rues sombres, les mansardes affamées, les carrefours pleins de gémissements. Eh bien ! dans ces rues, dans ces carrefours, dans ces mansardes, sire, on meurt de faim et de froid l’hiver, de soif et de chaud l’été. Les campagnes que vous ne voyez pas, vous, sire, car vous allez de Versailles à Marly, et de Marly à Versailles seulement, les campagnes n’ont plus de grain, je ne dirai pas pour nourrir les peuples, mais pour ensemencer les sillons, qui, maudits je ne sais par quelle puissance ennemie, dévorent et ne rendent pas. Tous ces gens, qui manquent de pain, grondent sourdement, car des rumeurs vagues et inconnues passent dans l’air, dans le crépuscule, dans la nuit, qui leur parlent de fers, de chaînes, de tyrannies, et à ces paroles ils se réveillent, cessent de se plaindre et commencent à gronder.

« De leur côté, les parlements demandent le droit de remontrance,