Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 2.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

c’est-à-dire le droit de vous dire tout haut ce qu’ils disent tout bas : « Roi, tu nous perds ! sauve-nous ou nous nous sauvons seuls… »

Les gens de guerre creusent de leur épée inutile une terre où germe la liberté que les encyclopédistes y ont jetée à pleines mains. Les écrivains — comment cela se fait-il, si ce n’est que les yeux des hommes commencent à voir des choses qu’ils ne voyaient pas ? — les écrivains savent ce que nous faisons de mal en même temps que nous le faisons, et l’apprennent au peuple, qui fronce le sourcil maintenant chaque fois qu’il voit passer ses maîtres. Votre Majesté marie son fils ! Autrefois, lorsque la reine Anne d’Autriche maria le sien, la ville de Paris fit des présents à la princesse Marie-Thérèse. Aujourd’hui, au contraire, non seulement la ville n’offre rien, mais encore Votre Majesté a dû forcer les impôts pour payer les carrosses avec lesquels on conduit une fille de César chez un fils de saint Louis. Le clergé est habitué depuis longtemps à ne plus prier Dieu, mais il sent que les terres sont données, les privilèges épuisés, les coffres vides, et il se remet à prier Dieu pour ce qu’il appelle le bonheur du peuple ! Enfin, sire, faut-il que l’on vous dise ce que vous savez bien, ce que vous avez vu avec tant d’amertume que vous n’en avez parlé à personne ? Les rois nos frères, qui jadis nous jalousaient, les rois nos frères se détournent de nous. Vos quatre filles, sire, les filles du roi de France ! vos quatre filles n’ont pas été mariées, et il y a vingt princes en Allemagne, trois en Angleterre, seize dans les États du Nord, sans compter nos parents les Bourbons d’Espagne et de Naples, qui nous oublient, ou se détournent de nous comme les autres. Peut-être le Turc eût-il voulu de nous si nous n’eussions pas été les filles du roi Très Chrétien. Oh ! je ne parle pas pour moi, mon père, je ne me plains pas ; c’est un état heureux que le mien, puisque me voici libre, puisque je ne suis nécessaire à aucun de ma famille, puisque je vais pouvoir, dans la retraite, dans la méditation, dans la pauvreté, prier Dieu pour qu’il détourne de votre tête et de celle de mon neveu, cet effrayant orage que je vois tout là-bas grondant dans le ciel de l’avenir.