— Elle en fera cent.
— Consentirait-elle à devenir amoureuse de Rousseau ?
— S’il le fallait absolument.
— Ce sera peut-être utile ; mais pour rapprocher nos personnages l’un de l’autre, il serait besoin d’un agent intermédiaire. Connaissez-vous quelqu’un qui connaisse Rousseau ?
— M. de Conti.
— Mauvais, il se défie des princes. Il faudrait un homme de rien, un savant, un poète.
— Nous ne voyons pas ces gens-là.
— N’ai-je pas rencontré, chez la comtesse, M. de Jussieu ?
— Le botaniste ?
— Oui.
— Ma foi, je crois que oui ; il vient à Trianon, et la comtesse lui laisse ravager ses plates-bandes.
— Voilà votre affaire ; justement Jussieu est de mes amis.
— Alors, cela ira tout seul ?
— À peu près.
— J’aurai donc mon Gilbert ?
M. de Sartines réfléchit un moment.
— Je commence à croire que oui, dit-il, et sans violence, sans cris ; Rousseau vous le donnera pieds et poings liés.
— Vous croyez ?
— J’en suis sûr.
— Que faut-il faire pour cela ?
— La moindre des choses. Vous avez bien, du côté de Meudon ou de Marly, un terrain vide ?
— Oh ! cela ne manque pas ; j’en connais dix entre Luciennes et Bougival.
— Eh bien ! faites-y construire… comment appellerai-je cela ? une souricière à philosophes.
— Plaît-il ? Comment avez-vous dit cela ?
— J’ai dit une souricière à philosophes.
— Eh ! mon Dieu ! comment cela se bâtit-il ?
— Je vous en donnerai le plan, soyez tranquille. Et maintenant, partons vite, voilà qu’on nous regarde. Cocher, touche à l’hôtel.