Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/128

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allumés, leur lueur me montra une muraille ruisselante de sang. J’eus cependant le courage d’approcher des parois et d’examiner ces teintes rouges avec plus d’attention. Ces murs étaient tendus d’une tapisserie qui représentait le massacre des Innocents. Partout le désespoir avec des regards désolés, le meurtre avec des yeux flamboyants, partout l’éclair de la hache ou de l’épée, partout des larmes, des cris de mère, des soupirs d’agonie semblaient s’élancer pêle-mêle de cette muraille prophétique, qui, à force de la regarder, me semblait vivante. Oh ! glacée de terreur, je ne pus dormir… Et dites, dites, voyons, n’était-ce pas un triste présage ?

— Pour une femme de l’antiquité peut-être, madame, mais non pour une princesse de notre siècle.

— Monsieur, ce siècle est gros de malheurs, ma mère me l’a dit, comme ce ciel qui s’enflamme au-dessus de nos têtes est gros de soufre, de feux et de désolation. Oh ! voilà pourquoi j’ai si peur, voilà pourquoi tout présage me semble un avertissement.

— Madame, aucun danger ne peut menacer le trône où nous montons ; nous vivons, nous autres rois, dans une région au-dessus des nuages. La foudre est à nos pieds, et quand elle tombe sur la terre, c’est nous qui la lançons.

— Hélas ! hélas ! ce n’est point ce qui m’a été prédit, monsieur.

— Et que vous a-t-on prédit ?

— Quelque chose d’affreux, d’épouvantable.

— On vous a prédit ?

— Ou plutôt on m’a fait voir.

— Voir ?

— Oui, j’ai vu, vu, vous dis-je, et cette image est restée dans mon esprit, restée si profondément, qu’il n’y a pas de jours où je ne frissonne en y songeant ; pas de nuit où je ne la revoie en rêve.

— Et ne pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu ? A-t-on exigé de vous le silence ?

— Rien, on n’a rien exigé.

— Alors, dites, madame.