Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/144

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si cochers et chevaux eussent été pris d’un vertige général, fuyaient vingt mille malheureux, mutilés, atteints, broyés les uns par les autres.

Instinctivement ils longeaient les murailles, contre lesquelles les plus proches étaient écrasés.

Cette masse entraînait ou étouffait tous ceux qui, ayant pris terre auprès du Garde-Meuble, se croyaient échappés au naufrage. Un nouveau déluge de coups, de corps, de cadavres inonda Gilbert ; il trouva des renfoncements produits par les grilles et s’y appliqua.

Le poids des fuyards fit craquer ce mur.

Gilbert étouffé se sentit prêt à lâcher prise ; mais, réunissant toutes ses forces par un suprême effort, il entoura le corps d’Andrée de ses bras, appuyant sa tête contre la poitrine de la jeune fille. On eût dit qu’il voulait étouffer celle qu’il protégeait.

— Adieu ! adieu ! murmura-t-il en mordant sa robe plutôt qu’il ne l’embrassait ; adieu !

Puis il releva les yeux pour l’implorer d’un dernier regard.

Alors une vision étrange s’offrit à ses yeux.

C’était debout sur une borne, accroché de la main droite à un anneau scellé dans la muraille, tandis que de la main gauche il semblait rallier une armée de fugitifs ; c’était un homme qui, voyant passer toute cette mer furieuse à ses pieds, lançait tantôt une parole, tantôt faisait un geste. À cette parole, à ce geste, on voyait alors parmi la foule quelque individu isolé, s’arrêtant, faisant un effort, luttant, se cramponnant pour arriver jusqu’à cet homme. D’autres, arrivés à lui, semblaient dans les nouveaux venus reconnaître des frères, et ces frères, ils les aidaient à se tirer de la foule, les soulevant, les soutenant, les attirant à eux. Ainsi, déjà ce noyau d’hommes luttant avec ensemble, pareil à la pile d’un pont qui divise l’eau, était parvenu à diviser la foule et à tenir en échec les masses des fugitifs.

À chaque instant, de nouveaux lutteurs qui semblaient sortir de dessous terre à ces mots étranges prononcés, à ces singuliers