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LXVIII

LE CHAMP DES MORTS.


Aux grandes tempêtes succède toujours le calme, calme effrayant, mais réparateur.

Il était deux heures du matin ou à peu près, de grands nuages blancs courant sur Paris dessinaient en traits énergiques, sous une lune blafarde, les inégalités de ce terrain funeste, aux fossés duquel la foule qui s’enfuyait avait trouvé la chute et la mort.

Çà et là, à la lueur de la lune, perdue de temps en temps au sein de ces grands nuages floconneux dont nous avons parlé et qui tamisaient sa lumière, çà et là, disons-nous, au bord des talus, dans les fondrières, apparaissaient des cadavres aux vêtements en désordre, les jambes raides, le front livide, les mains étendues en signe de terreur ou de prière.

Au milieu de la place, une fumée jaune et infecte s’échappant des décombres de la charpente contribuait à donner à la place Louis XV une apparence de champ de bataille.

Au milieu de cette place sanglante et désolée, serpentaient mystérieusement et d’un pas rapide des ombres qui s’arrêtaient, regardaient autour d’elles, se baissaient et fuyaient : c’étaient les voleurs de la mort attirés vers leur proie comme des corbeaux ; ils n’avaient pu dépouiller les vivants, ils venaient dépouiller les cadavres, tout surpris d’avoir été prévenus par des confrères. On les voyait se sauver mécontents et effarés à la vue des tardives baïonnettes qui les menaçaient ; mais, au milieu de ces longues files de morts, les voleurs et le guet n’étaient pas les seuls que l’on vît se mouvoir.

Il y avait, munis de lanternes, des gens que l’on eût pu prendre pour des curieux.