Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/154

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— Alors, après les femmes, dit le chirurgien, les hommes ont plus de force que les femmes pour supporter la douleur.

— Une simple saignée, monsieur, dit le vieillard, une saignée suffira.

— Ah ! c’est encore vous, monsieur le gentilhomme, dit le chirurgien, apercevant Philippe avant d’apercevoir le vieillard.

Philippe ne répondit rien. Le vieillard crut que ces paroles s’adressaient à lui.

— Je ne suis pas gentilhomme, dit-il, je suis homme du peuple ; je m’appelle Jean-Jacques Rousseau.

Le médecin poussa un cri de surprise, et faisant un signe impératif :

— Place, dit-il, place à l’homme de la nature ! Place au citoyen de Genève !

— Merci, monsieur, dit Rousseau, merci.

— Vous serait-il arrivé quelque accident, monsieur ? demanda le jeune médecin.

— Non, mais à ce pauvre enfant, voyez !

— Ah ! vous aussi, s’écria le médecin, vous aussi, comme moi, vous représentez la cause de l’humanité.

Rousseau, ému de ce triomphe inattendu, ne sut que balbutier quelques mots presque inintelligibles.

Philippe, saisi de stupéfaction de se trouver en face du philosophe qu’il admirait, se tint à l’écart.

On aida Rousseau à déposer Gilbert, toujours évanoui, sur la table.

Ce fut en ce moment que Rousseau jeta un regard sur celui dont il invoquait le secours. C’était un jeune homme de l’âge de Gilbert à peu près, mais chez lequel aucun trait ne rappelait la jeunesse. Son teint jaune était flétri comme celui d’un vieillard, sa paupière flasque recouvrait un œil de serpent, et sa bouche était tordue, comme l’est dans ses accès la bouche d’un épileptique.

Les manches retroussées jusqu’au coude, les bras couverts de sang, entouré de tronçons humains, il semblait bien plutôt