Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/209

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— Oh ! s’écria le philosophe, vous dépréciez votre table, seigneur Lucullus.

— La mienne ? Non pas ! dit Jussieu.

— Chez qui donc sommes-nous, alors ? reprit Rousseau avec un sourire qui témoignait à la fois de sa contrainte et de sa bonne humeur… chez des lutins ?

— Ou des fées, dit en se levant M. de Jussieu, avec un regard perdu vers la porte du pavillon.

— Des fées ! s’écria Rousseau avec gaieté ; alors, bénies soient-elles pour leur hospitalité. J’ai faim : mangeons, Gilbert.

Et il se coupa une tranche fort respectable de pain bis, passant le pain et le couteau à son élève.

Puis, tout en mordant au milieu de la mie compacte, il choisit une couple de prunes sur l’assiette.

Gilbert hésitait.

— Allez ! allez ! dit Rousseau ; les fées s’offenseraient de votre retenue et croiraient que vous trouvez leur festin incomplet.

— Ou indigne de vous, messieurs, articula une voix argentine à l’entrée du pavillon où se présentèrent, bras dessus, bras dessous, deux femmes fraîches et belles, qui, le sourire sur les lèvres, faisaient signe à M. de Jussieu de modérer ses salutations.

Rousseau se retourna, tenant de la main droite le pain échancré et de la gauche une prune entamée ; il vit ces deux déesses, ou du moins elles lui parurent telles par la jeunesse et la beauté ; il les vit et demeura stupéfait, saluant et chancelant.

— Oh ! madame la comtesse, dit M. de Jussieu, vous ici ! l’aimable surprise !

— Bonjour, cher botaniste, dit l’une des dames avec une familiarité et une grâce toutes royales.

— Permettez que je vous présente M. Rousseau, dit Jussieu en prenant le philosophe par la main qui tenait le pain bis.

Gilbert, lui aussi, avait vu et reconnu les deux femmes ; il ouvrait donc de grands yeux, et, pâle comme la mort,