Page:Dumas - Joseph Balsamo, Lévy frères, 1872, volume 3.djvu/255

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— C’est l’entrée en campagne, comtesse ; semez aujourd’hui, vous recueillerez demain.

La comtesse haussa les épaules avec un indescriptible mouvement, se leva, alla à son chiffonnier, l’ouvrit, en tira une poignée de billets de caisse, qu’elle remit sans compter à Jean, lequel, sans compter aussi, les empocha en poussant un gros soupir.

Puis, se levant, s’étirant, tordant les bras comme un homme accablé de fatigue, Jean fit trois pas dans la chambre.

— Voilà, dit-il en montrant le duc et la comtesse ; ces gens-là vont s’amuser à la chasse, tandis que moi je galope à Paris ; ils verront de jolis cavaliers et de jolies femmes, moi je vais contempler les hideuses faces des gratte-papier. Décidément, je suis le chien de la maison.

— Notez, duc, fit la comtesse, qu’il ne va pas s’occuper de nous le moins du monde ; il va donner la moitié de mes billets à quelque drôlesse, et jouer le reste dans quelque tripot : voilà ce qu’il va faire, et il pousse des hurlements, le misérable ! Tenez, allez-vous-en, Jean, vous me faites horreur.

Jean dévalisa trois bonbonnières, qu’il vida dans ses poches, vola sur l’étagère une chinoise qui avait des yeux de diamants, et partit en faisant le gros dos, poursuivi par les cris nerveux de la comtesse.

— Quel charmant garçon ! dit Richelieu, du ton qu’un parasite prend pour louer un de ces terribles enfants sur lequel il appelle tout bas la chute du tonnerre ; il vous est bien cher… n’est-ce pas, comtesse ?

— Comme vous dites, duc, il a placé sa bonté sur moi, et elle lui rapporte trois ou quatre cent mille livres par an.

La pendule tinta.

— Midi et demi, comtesse, dit le duc ; heureusement que vous êtes presque habillée ; montrez-vous un peu à vos courtisans, qui croiraient qu’il y a éclipse, et montons vite en carrosse : vous savez comment se gouverne la chasse ?

— C’était convenu hier entre Sa Majesté et moi : on allait dans la forêt de Marly, et l’on me prenait en passant.